Décor de l’enfer planté autour de lui. Bruit assourdissant bourdonnant dans ses oreilles et lui donnant le vertige. Il plaque ses mains encore plus fort contre ses pavillons dans l’espoir de rendre hermétique ses conduits auditifs. Mais rien n’y fait. Le sifflement s’accentue à mesure que les secondes s’écoulent, ne faisant qu’augmenter la nausée qui le menace. Ses paupières fermées se crispent. Le sang bat dans ses tempes alors qu’il a l’impression qu’une douleur lancinante le traverse, telle une tige de métal enfoncée en plein dans sa poitrine. Son cœur bat à mille à l’heure, au rythme de la peur qui empoisonne ses veines. Il est terrifié. Cet effroi qui le paralyse, il ne le connaît que trop bien, tout comme les détonations qui parviennent à se frayer un chemin jusqu’à ses oreilles, au milieu de l’acouphène qui l’assourdit. Il supplie un Dieu auquel il ne croit pas, lui demandant de le tirer de ce cauchemar qu’il connaît par cœur à force de le vivre encore et encore chaque nuit. Mais il est incapable d’ouvrir les yeux, incapable de tirer son esprit de la prison imaginaire qui le torture depuis des mois. « Ouvre les yeux, ouvre les yeux, ouvre les yeux… », s’ordonne-t-il à lui-même dans un marmonnement suppliant. Son corps se balance d’avant en arrière alors qu’accroupi et recroquevillé sur lui-même, il ferme ses paupières encore plus fort, à l’inverse des supplications qui s’échappent d’entre ses lèvres. Mais tout à coup, quelque chose de différent se produit. Au milieu du capharnaüm auditif qui l’assaille, il lui semble entendre un bruit différent. Léger comme une brise d’été mais suffisamment fort pour qu’il puisse l’atteindre. Il s’immobilise alors et rassemble sa concentration pour tenter de déterminer la source de cette nouvelle sonorité. Une voix. Difficile pour lui de savoir s’il s’agit d’une voix d’homme ou de femme, d’adulte ou d’enfant. Il se focalise davantage sur celle-ci, rassemblant tous ses efforts pour empêcher les bombardements et les cris habituels de l’atteindre. Et c’est là qu’il l’entend, clair comme si sa source se trouvait juste à côté de lui. Un pleur d’enfant. Tout à coup, tout devient silencieux. Les explosions de bombes et les bruits de tir s’éteignent comme si l’on avait pressé un interrupteur. Aucun hurlement de douleur supplémentaire ne se fait entendre. Il ne perçoit plus que cette plainte qui résonne en lui comme un écho. Alors il ouvre les yeux et laisse retomber ses mains tout en se redressant. Autour de lui, il reconnaît les décombres d’immeubles détruits, les corps sans vie éparpillés et cette fumée étouffante qui slalome au milieu du carnage. Son myocarde continue sa course folle, dopé cette fois-ci par un étrange sentiment de familiarité. Ces sanglots ne lui sont pas inconnus. Alors il commence à marcher, sentant le sol granuleux crisser sous ses semelles sans pour autant émettre le moindre son. Il est sourd au milieu du chaos, Léonard, mais reste sensible à ces gémissements infantiles sur lesquels il essaie de mettre un visage. « Papa… », supplie la voix d’enfants entre deux sanglots déchirants. Le sang du Québécois ne fait qu’un tour. Sans attendre une seconde de plus, il se met à courir entre les cadavres de bâtisses dans l’espoir de rejoindre au plus vite l’enfant. Il le sait tout au fond de lui, car l’angoisse qui lui cisaille le cœur ne peut pas être anodine. Il court à en perdre haleine, jusqu’à ce qu’enfin, il la trouve. Dans la même position qu’il avait il y a encore quelques minutes, la petite fille aux cheveux blonds se bouche les oreilles en regardant droit devant elle. Ses yeux bleus sont cernés de larmes scintillantes qui donnent à son visage de poupée une teinte désespérée qui déchire le palpitant du psychologue en deux. « Romy. », s’exclame-t-il d’une voix étouffée par la terreur. « Papa. », répète l’enfant en le fixant de ses iris profonds. « Aide-moi. » Il ne se fait pas prier, Léonard, et fait un pas en avant. Mais c’est comme s’il butait contre un mur invisible. Son corps refuse d’avancer et il sent une force indécelable le retenir sur place, l’empêchant alors de rejoindre sa fille qui continue de pleurer et de le supplier de l’aider. Au loin résonnent une série de klaxons désagréables. Puis l’un d’entre eux s’étire, faisant grimacer le père alors que le sifflement dans ses oreilles se réveille, plus fort qu’auparavant. Il entend des crissements de pneus. Paniqué, il abat ses poings devant lui, espérant briser les briques transparentes qui l’interdisent de rejoindre son enfant. « Romy ! » Les bruits de circulation deviennent de plus en plus fort et l’assourdissent. Puis une explosion de ferraille brisée qui se tord sous l’effet de la collision, avalant tous les autres bruits accablants. Le silence se fait soudainement, seule la respiration saccadée de Romy résonnant encore. Les murs l’entourant s’effondrent, avalant son petit corps chétif dans le chaos. « ROMY ! »

Il se réveille en sursaut, se redressant dans son lit. Le corps en sueur, la respiration convulsive, il regarde autour de lui, en proie à la panique. Sans attendre une seconde de plus, il s’extirpe du lit. Il n’arrive pas à reprendre pied dans la réalité, son cauchemar le hantant encore dans la totalité de son corps, des tensions qui crispent ses muscles à l’oxygène qui va et vient bien trop rapidement dans ses poumons. La démarche mal assurée, il se rue hors de la chambre et longe le couloir plongé dans la pénombre jusqu’à atteindre la pièce dans laquelle dort profondément Romy. Là, il s’élance vers la fillette endormie sans même allumer la lumière et agrippe ses deux bras pour la secouer. « Romy ? Romy ?! » Tirée de ses rêves avec violence, l’enfant sursaute et ouvre grand les yeux. Elle ne distingue pas le visage de la personne qui la tient avec fermeté mais croit reconnaître la voix de son père. « Papa ? », demande-t-elle doucement, en tirant sur ses bras pour essayer d’échapper à sa prise. Mais l’homme brisé ne perçoit pas la peur qu’il commence à déclencher chez son enfant. En proie à la terreur et aux hallucinations de son mauvais rêve, il resserre davantage ses doigts sur les bras fragiles de la gamine, la forçant à se mettre assise pour lui faire face. « Romy… Dis-moi que tu n’as rien. » Dans les yeux de la petite Romy, des larmes se dessinent. Elle est terrifiée par l’attitude de son père, elle a mal en sentant son emprise se resserrer toujours plus sur sa peau. « Tu me fais mal, papa… », se plaint-elle dans une petite voix timide. Aveugle et sourd, Léonard ne l’écoute pas. Il ne réagit même pas quand la lumière se fait dans la pièce et que les mains douces et rassurantes de son épouse tirent sur ses épaules afin de l’inciter à lâcher l’enfant qui a commencé à pleurer. Il est enfermé dans sa psychose, torturé par des démons qui ne le lâchent plus depuis des mois et qui ont été nourris par les récents événements ayant ébranlé la vie des Kline-Lefebvre. Encore retenu par son cauchemar, la terreur nocturne qui l’habite l’empêche de se rendre compte de la réalité qui l’entoure. Celle d’un père effrayant son enfant au milieu de la nuit, sans qu’aucune menace réelle ne menace la vie de quiconque. Pourtant, il en est persuadé Léonard, sa fille est en danger. Et il refusera de la lâcher tant que ce spectre dangereux planera autour d’eux en fixant Romy de ses yeux vils.

Eleonora Pedretti a écrit:

« Il était l’un des seuls à savoir que je voulais être pompier mais j’ai pas été capable de le sauver quand il avait besoin de moi. », l’émotion dans ses perles où les larmes salées, elles naissaient, elle la dissimula, parce qu’elle la connaissait cette impuissance qui le faisait exploser le cœur. Quand les créatures aimées, elles ne pouvaient pas être secourues, quand la faucheuse, elle apparaissait pour les emporter et que la tristesse inconsolable, elle avait choisi de l’habiter. Deux fois, la florentine, elle l’avait senti ce trou dans les entrailles. Deux fois, c’était son monde que les titans, ils avaient démoli. « On peut tous changer un jour, quand on fait le choix de le faire. Peut être que tu n'as pas changé depuis qu'il n'est plus là mais peut être que tu peux le faire maintenant si tu en as envie, tu n'es pas condamné à suivre la même route jusqu'à la fin de ta vie. Faut simplement apprendre à croire en soi, pour se libérer de ce qui risque de nous détruire. Tu peux pas juste te faire du mal en te flagellant, tu mérites mieux que ça crois-moi », le sourire doux aux lèvres, pour qu’il soit guidé dans le noir, au lieu de s’y complaire, pour que le brouillard opaque, il s’en aille pour le libérer de cette prison, où lui-même, il avait choisi de s’enfermer. Les pieds bloqués par des chaînes, il était retenu dans cette existence près de Satan, quand quelque part, il pouvait s’envoler vers une autre destinée. « On ne peut pas sauver tout le monde, même quand on le veut, c'est impossible. Même moi, je n'ai pas pu les sauver les deux personnes que j'aimais le plus, et pourtant je suis supposée être là pour guérir les corps. Il y a simplement des choses qui nous dépassent. Des morts qu'il n'est pas possible d'empêcher et je sais que ça fait mal.... Mais il nous voudrait pas que tu te détruises à cause de ça.  », la confession elle la prononça sans réaliser que c’était une parcelle de sa vie qu’elle lui délivrait, peu importe, si avec l’ivresse, il allait l’oublier dès l’apparition des premiers rayons solaires, elle l’ouvrait la boîte de Pandore. Elle, et son âme enfermée et cachée sur un îlot de glaces. « Il n'est jamais trop tard pour les rêves. Jamais. Alors tu as le droit de croire en toi. »