(février 2024)

Si d'habitude Cassie arrivait au travail enjouée, saluait son équipe, prenait le temps de circuler dans les couloirs de l'établissement pour rencontrer les enseignants et les enfants, avait un million d'idées plein la tête et apportait un peu de plaisir dans la vie des jeunes, ces derniers mois, voire cette dernière année, échappaient aux bonnes habitudes de la directrice. Elle s'efforçait pour que ses problèmes personnels affectent le moins possible le travail et les filles, elle mentait en disant que tout allait bien, s'efforçait à sourire même si le coeur ne lui en disait pas. Il y avait pourtant de ces moments où, malgré toutes les bonnes intentions qu'elle se prêtait, elle n'y arrivait pas, elle n'y arrivait plus. Seule dans cette histoire, sans avoir osé essayer de se confier à qui que ce soit, Caelan refusant de l'entendre s'expliquer, et avec raison, elle se condamnait en accusée responsable des lésions et des dommages collatéraux posés dans cette histoire, se martelant de coups indécents sur sa propre tête toute seule, nul le besoin que quelqu'un d'autre le fasse à sa place. Et elle vivait, matin après matin, se réveillant toute seule dans son lit maintenant trop grand, avec l'insupportable souvenir que tout était de sa faute, que tout aurait pu être évité si elle avait eu plus de courage.

Ce matin n'échappait pas à la règle des derniers matins difficiles, mais elle répondait tout de même présente. Cassie retenait ses émotions à un fil d'exploser, jonglant entre les courriels professionnels, les parents qui souhaitaient la rencontrer, les enseignants qui avaient des questionnements et les messages vocaux de son avocat lui rappelant que, plus tard cette semaine, ils se rencontraient pour discuter de la garde des filles. Cassie soupira en écoutant le message laissé sur sa boîte vocale, téléphone collé à l'oreille, talons hauts qui claquaient alors qu'elle marchait dans les couloir en direction de son bureau. Un autre rendez-vous à noter à son agenda, un autre après-midi de congé à se fixer. Ça allait vite, aujourd'hui, les heures passaient, tout se chamboulait dans la tête de la blonde, des tas de dossiers à régler, tant sur le plan professionnel que dans son coeur. À l'approche de l'heure du dîner, elle se consolait à l'idée de s'enfermer dans son bureau pour une demi-heure au moins, sentant bien qu'elle était sur le point de craquer. Sa secrétaire toqua à la porte au moment où elle entra dans son bureau. Elle n'eut le temps que de déposer la pile de documents qu'elle avait traînés partout depuis ce matin que cette dernière l'informait qu'elle devait sortir diner à l'extérieur aujourd'hui. Cassie acquiesçait en lui souriant, lui rappelant qu'elle prenait le temps dont elle avait besoin. Une fois que la secrétaire fût sortie, elle sentit la pression retomber d'un seul coup, sans même pouvoir la contrôler. Un raz de marré d'émotions la submergea, la forçant à s'asseoir sur sa grande chaise, se camouflant derrière son bureau pour se noyer dans les larmes.

« Pourquoi Papa ne vient plus dormir à la maison ? », avait demandé Sinead, la veille, au repas du soir. « Il nous aime moins ? ». Les paroles de sa grande fille résonnaient en boucle depuis, elles l'avaient d'ailleurs empêché de dormir. Évidemment que Cassie avait tenté de protéger Caelan au mieux qu'elle le pouvait, rassurant ses deux amours que leur père les aimait toujours tout autant, que ça ne changerait jamais, qu'ils avaient des problèmes d'adultes à régler. Évidemment qu'elle avait géré comme il le fallait devant la peur et l'incompréhension de sa grande de huit ans qui commençait à analyser la situation et à se poser des questions. Elle était grande, elle était de plus en plus consciente que quelque chose clochait. Et sa mère, à elle seule, était la responsable de la déchéance de leur nid familial. Un jour, il lui faudra être honnête avec Sinead. Ces mots qui frappaient forts, trop forts, avaient résonné une partie de la nuit, certes, et toute la matinée. Une fois seule, ça en avait été trop. Tout devait être expulsé.

Sans faire de bruit, la porte de son bureau demeurée ouverte, Cassie pleurait entre ses mains, étouffant ses sanglots du mieux qu'elle le pouvait. Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle entendit la voix feutrée de Gabriel retentir dans son bureau, incapable par contre de répéter ce qu'il avait dit en faisant son entrée. Comme si elle était surprise en flagrant délit, Cassie se racla la gorge, essuyant ses larmes du revers de la main, faisant comme si la scène ne s'était jamais déroulée sous les yeux de l'homme. « Ahum, pardon, ahum », commençait-elle en tentant de retrouver le timbre et le débit normal de sa voix. « Qu'est-ce que... Qu'est-ce que je peux faire pour toi Gabriel ? » Cassie avait dorénavant retrouvée son ton habituel, juste un tendre moins enjoué qu'à l'habitude. Mis à part les traces de mascara laissé sous ses yeux, rien ne pouvait trahir son épisode de larmes. Naïve, elle espérait qu'il ne s'en rende pas compte, qu'il n'ait pas eu le temps d'assister à tout le premier acte de sa pièce de théâtre dramatique.