Un cri étranglé résonna entre les quatre murs de la résidence Lennox-Baxter / Keynes. Assise à la table qui ornait la salle à manger, Evaline était en proie à la frustration la plus totale en face de tous les papiers qui jonchaient le meuble. Ou bien était-ce plutôt le stress qui parcourait ses veines, tel des fourmis mal intentionnées ? L’un ou l’autre était relativement vrai. Elle avait du mal à lâcher prise sur ses émotions en temps normal, mais aujourd’hui, elle ne savait plus quoi faire du bouillonnement qui tempêtait dans sa poitrine. La date du mariage approchait et il restait encore tant de choses à faire. Gabriel et elle avaient convenu du jour de leur union depuis presque deux ans, maintenant. Mais la secrétaire avait l’impression qu’il s’agissait d’une annonce faite hier. Les mois avaient filé à la vitesse de l’éclair. Si elle avait tenté d’avancer un tant soit peu durant sa grossesse, la naissance d’Elie avait mis un stop clair à toutes ses démarches. Exténuée, elle avait mis en avant son repos en même temps que les siestes de son fils, si bien que le temps libre s’était fait rare. Parce qu’il y avait quatre autres enfants à gérer le matin et le soir. Bien entendu, il avait fallu que Gabriel tape du poing sur la table pour que la brune jette les armes et arrête de tout mener de front. Le seul ennui, c’est qu’elle se retrouvait à présent devant une liste incomplète de tâches à accomplir avant la mi-septembre. Et si elle avait l’impression qu’une montagne se présentait à elle, la réalité était loin d’être celle-ci. Seule son envie que tout soit parfait lui mettait des bâtons dans les roues. Parce que ce mariage était bel et bien le dernier. Parce que cette union mettait en lumière toutes les années vécues aux côtés de l’ancien pompier. Malgré les frayeurs, les pleurs, les bas de l’existence, il y avait eu ce renouveau, cet amour qui avait germé dans le palpitant de la jeune mère. La joie avait rayonné dans son âme dès que ses yeux s’étaient posés sur son sauveur au cours du marché de Noël, en décembre 2020. Les deux adultes s’étaient comportés comme des adolescents découvrant les premiers émois amoureux. La relation qui en avait fleuri n’en avait été que plus magique encore. Faisant fi de tout ce qui les entouraient et des barrières qui auraient pu se dresser si facilement entre eux, le lien connectant Gabriel et Evaline n’avait jamais vacillé. Alors, elle voulait tout donner pour que cette journée soit mémorable, pour que son futur époux sache qu’il serait le seul et l’unique jusqu’à la fin de ses jours. Même au-delà. Son téléphone vibra sur la surface lisse de la table, ce qui la fit sursauter. « Evaline Keynes [...] Oui [...] Comment ça, un retard dans la livraison ? [...] Dites-le-moi s’il faut que j’annule ma commande et que je trouve un arrangement ailleurs. [...] Le 31 ? Très bien, je compte sur vous. » La conversation lui fit grincer des dents. Les larmes n’étaient pas loin, non plus. A bout de force, elle reposa son téléphone, les doigts crispés autour de l’objet avant de poser le front sur la surface de la table. Il fallait préciser que son état de nerfs était dû à un retard de livraison concernant les verres en plastiques réutilisables qu’elle avait commandé en tant que cadeau pour les - nombreux - invités du mariage. Détail qui lui aurait, sans doute, semblé futile lors de son mariage avec Wyatt, mais qui prenait une large ampleur dans son esprit, en cet instant. Un froissement d’étoffe derrière elle la fit se relever d’un bond, envoyant valser son téléphone portable au milieu de la pièce ainsi que la chaise qui se renversa dans un fracas assourdissant sur le carrelage. La Keynes porta une main à sa poitrine, où son palpitant battait à une vitesse folle. « Tu m’as flanqué une de ces frousses ! Annonces-toi, fais du bruit, je ne sais pas moi ! », lâcha-t-elle d’un air courroucé, en guise de bonjour à l’adresse de son futur époux. Elle grommela en allant chercher son mobile au sol. Puis, ce fut un soupir exaspéré qui s’extirpa entre ses lèvres lorsque ses yeux se posèrent sur l’écran fissuré de l’engin. « Génial, il manquait plus que ça ! », souffla-t-elle en se redressant, les mâchoires serrées pour ne pas céder aux larmes qui menaçaient de couler sur ses joues. Elle se tourna vers Gabriel qui se tenait toujours au même endroit. « Tu ne devais pas être parti toute la journée ? », lui demanda-t-elle, sans aucune douceur. Traduction : comme ça, j’aurais pu criser toute la journée sans que tu en sois témoin. Incapable d’aller vers lui, d’esquisser un geste à son adresse ou de rester sur place - ou même d’affronter les yeux de son partenaire -, parce qu’elle savait qu’elle craquerait, elle prit la fuite vers la cuisine pour aller décharger le lave-vaisselle qui s’était mis à sonner quelques secondes auparavant. La fumée qui s’extirpa de la machine lorsqu’elle ouvrit la porte était censée la prévenir d'une chaleur anormale. Et pourtant … « Aïe ! Et merde ! », s’exclama-t-elle en manquant de lâcher une assiette.

Les jours se suivent et il tente d’être partout Gabriel. Parce qu’il le souhaite mais également parce qu’il sent de plus en plus sa dulcinée devenir une boule de nerf à l’approche de leur grande journée. Elle a tout pris depuis des mois voir des années sur ses épaules comme si elle était l’unique personne à pouvoir faire vivre leur petit monde, comme si une pause de sa part et le monde s’arrêtait. Ce jour-là, il avait annoncé partir pour la journée pour sa formation mais également aller prendre des contacts à l’école et voir s’il pouvait commencer cette année comme entraineur de la little league de football américain.. Il ne pouvait plus le jouer avec des adultes, alors autant donner l’envie aux plus jeunes non ? Il était heureux Gabriel, heureux parce que tout s’aligné à nouveau dans sa vie et cette fois, il était certain de celle avec qui la partager. En profitant pour amener les enfants à ses parents pour une journée plage, il passe en même temps des appels pour organiser l’anniversaire d’Eli. Il sait très bien que ce n’est que sa première année, que ce n’est pas si important pour lui, mais il sait aussi qu’Evaline est totalement sous l’eau avec le mariage et qu’oublier cette fête la laissera dans une torture sans nom. Elle qui prend tant de temps pour faire plaisir à tout le monde, qui tente d’être parfaite était entrain de plonger et il tentait, à sa manière d’être là, autant qu’il le pouvait, autant qu’elle le laissait faire. Cette fête, il savait qu’elle ne s’y attendrait pas, ils n’en avaient pas parlé. Juste un repas avec la famille, c’est suffisant et cela va avec les finances de l’année notamment avec le mariage qui arrive. C’est ce qu’il s’était dit. Mais pas ce qu’il avait retenu l’ancien militaire. L’heure du déjeuner n’a pas encore sonné mais il a un contrat pour l’année prochaine de signé entre les mains, les bâteaux de pirate commandé pour l’anniversaire ainsi que le gâteau auprès de sa marraine, la décoration en cours de préparation et le repas commandé chez son cousin. Tout était sur des rails. Il avait profité de son passage chez Andrew pour lui prendre deux petits plats à emporter et deux desserts pour que sa femme en devenir ne s’inquiète pas pour le repas. Une petite surprise qu’il voulait lui faire et venir lui donner un coup de main sur sa to-do list pour l’après midi.

Doucement, il entre dans la maison tout sourire, ôtant ses chaussures, il s’avance pour venir surprendre sa belle dans la cuisine. Ce n’est pas un grand sourire qui le reçu mais un sursaut incroyable envoyant valser le téléphone de l’autre côté de la pièce. « Tu m’as flanqué une de ces frousses ! Annonces-toi, fais du bruit, je ne sais pas moi ! » Quelque chose ne va pas, c’est certain. Il tente tout de même Gabriel de ne pas le prendre pour lui et surtout de la détendre légèrement. « Bonjour à toi aussi, femme de ma vie » Se bougeant pour tenter de récupérer le téléphone, elle le devance et lorsqu’ils virent l’écran brisé, il n’eut que le temps de fermer les yeux avant que le courroux de la femme démarre. « Génial, il manquait plus que ça ! » Son regard se pose sur ce corps qu’il aime tant, cette personne avec qui il veut se lier pour l’éternité. Le regard qu’elle lui lance alors, mâchoire serrée et tout le corps tendu, lui hurle de se taire et de ne rien ajouter de trop. Il a mal pour elle, il a besoin d’être là, il a besoin de lui faire comprendre qu’elle n’a rien à porter seule, plus maintenant, plus jamais. « Tu ne devais pas être parti toute la journée ? » La surprise n’était donc vraiment pas la bonne… Elle aurait probablement souhaité être seule pour tout faire à sa sauce, être seule pour exploser sans qu’il ne le voie. Il n’était pas d’accord avec cette vision. Il en était même hors de question et même si l’instant n’était pas des plus agréables, jamais il ne voulait la laisser dans cet état-là. Comme une pile, à la première sonnerie du lave-vaisselle, elle vole là-bas, sans même entendre son « Ca va être brulant, je vais le faire. » qu’il énonce en la suivant sans courir. Seulement il est rapidement couvert par son « Aïe ! Et merde ! ».. Cette fois s’en est trop et il refuse qu’elle s’enfonce encore plus dans un mal être qu’elle seule se donne. Ne lui laissant pas le choix, il vient à ses côtés lui prenant l’assiette des mains. « Viens là, s’il te plait. » Il pose doucement l’assiette sur le plan de travail avant de venir la prendre par la taille pour l’attirer à lui sans lui laisser aucun choix. Ce n’est pas parce qu’il est devenu infirme qu’il n’a plus aucune force et il compte bien aider sa fiancée en l’instant, donc hors de question qu’elle lui échappe. « Respire Ev', s'il te plait. » Il vient entourer son visage de ses mains, plantant son regard dans le sien. « Tu m’expliques ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? » Son pouce vient doucement caresser la joue douce de son âme sœur alors qu’un léger sourire vient se dessiner sur son visage. Tout va bien et elle doit s’en rendre compte pour continuer. « Je devais être parti toute la journée mais j’ai fait tout ce que j’avais à faire et je me suis dis que je pouvais venir t’aider et manger avec toi.» Il marque une pause se remémorant les quelques minutes qui viennent de s'écouler... « Et maintenant, tu n’en as même plus le choix, je suis là et je vais m’occuper de tout mais d’abord prendre soin de toi. » Joignant le geste à la parole, il attire sa femme à lui, venant la poser contre son torse, la laissant craquer si besoin. Par la suite, ils verront ce qu’il y a, par la suite, il la laissera s’exprimer, par la suite, il fera en sorte de lui retirer de la charge des épaules mais pour le moment, elle a le droit de lâcher prise. « Je suis là mon cœur, tu n’es pas seule, plus jamais, ok ? » venant déposer un baiser sur son cuir chevelu, il inspire tout en se demandant comment il avait autant louper de choses pour qu’elle en arrive à cet état de nerf et veuille le gérer à nouveau seule…