Le regard rivé vers l'avant, trop honteuse pour oser regarder Caelan, Cassie écoutait distraitement ce que l'avocat en droits parentaux expliquait. Il parlait des options de garde des enfants, de ce que la séparation impliquera à leur niveau, comment diviser les responsabilités parentales, le genre de choses à régler lorsqu’un divorce implique non seulement un couple, mais toute une famille. Elle n'avait jamais eu un doute sur la façon dont Caelan se comporterait avec les filles, lui qui était un père exemplaire. Mais légalement, c'était une tout autre histoire. Si Sinead n'était effectivement pas la fille biologique de Caelan, il leur fallait prendre des décisions sur l'implication que ce dernier voudrait avoir auprès d'elle. S'il s'opposait à ses responsabilités parentales, ils leur faudrait aller en cour puisqu'il avait reconnu sa parentalité sur l'acte de naissance. En bref, tout était compliqué. Cassie tournait fébrilement l'alliance posée sur son annulaire, qu'elle n'avait jamais pu retirer, retenant toute la peine qu'elle ressentait alors qu'ils évoquaient à chaque visite légale le bris de leur relation causée par sa faute. Certes, elle en acceptait les torts, elle était la seule fautive de leur échec, mais cela ne faisait point disparaitre l'état de tristesse dans laquelle elle nageait constamment depuis octobre deux-mille-vingt-deux.

« Ce sera tout pour aujourd'hui. Pour le prochain rendez-vous, je vous demanderais de discuter et de prendre une décision sur les modalités de garde pour Dierdre ainsi que pour Sinead. », annonçait maître McDonnald. Il était avocat de renommée, le meilleur en ville pour les divorces, professionnel reconnu pour faire son travail de la plus juste des façons. Il se tourna vers Caelan, le regard empli de compassion. Évidemment, dans ce genre de situation, il se fallait être impartial. Pourtant, Cassie ressentait bien que son opinion était faite et qu'elle était celle qui était pointée du doigt. Elle était la vilaine, aux yeux de tous. Personne n'avait tenté de comprendre ce qui s'était réellement passé. Légalement, ça n'avait aucun poids, ce n'était d'ailleurs pas ce que la blonde déplorait. Pourtant, entre les deux ex, ça aurait eu de l'importance. Il y avait tout un contexte entourant son mensonge. Cassie acquiesçait tout de même les jugements posés sur elle, acceptant ce rôle de vilaine sans broncher. Elle ne pouvait se défendre, elle était celle qui avait caché la vérité toutes ces années. Maître McDonnald reprenait son discours dirigé envers la victime de l'histoire. « Vous savez, monsieur Gallagher, vous êtes dans votre droit de vous opposez à la paternité de Sinead. Vous pourrez tenter de démontrer qu'on vous a floué, malgré la présence de votre signature sur son acte de naissance. Dans un tel cas, et si on vous reconnaît votre demande, vous pourriez être exempté des obligations financières la concernant dans votre divorce. Vous pourriez même recevoir une compensation financière de la part de madame. » Comme si elle était un fantôme, Cassie se faisait invisible. Elle baissait les yeux vers son annulaire. Il pouvait renoncer à sa paternité. Et s'il en faisait le choix, la jeune femme ne pourrait lui en vouloir. Si la situation avait pu être inversée, Cassie ne pourrait prédire sa propre réaction. Elle accuserait le coup, réparerait la décision de son mari auprès de Sinead du mieux qu'elle le pourrait, accepterait la colère de sa fille aînée et la tempête qu'elle créerait dans sa toute petite vie au risque qu'elle lui en veuille pour l'éternité. Elle en paierait les frais, toute sa vie s'il le fallait. Que pouvait-elle faire d'autre, de toute façon ?

« Il est inutile de prendre une décision tout de suite. Prenez le temps d'y réfléchir, monsieur Gallagher », ajoutait maître McDonnald en clôturant la rencontre d'aujourd'hui. Il se levait de sa grande chaise, fit le tour de son bureau en bois massif tout en replaçant son veston de designer qui avait dû lui coûter pas moins de quinze-mille dollars. Il tendit sa main à Caelan d'abord, puis à Cassie avant de leur souhaiter une bonne journée et de les guider vers la porte de son bureau. Comme à chaque visite, elle se sentait vidée d'énergie et lourde d'un poids énorme s'ajoutant sur ses épaules. Elle n'osait toujours pas le regarder, craintive que la décision de son ex soit remise en doute par les paroles de l'avocat, la peur au ventre. Ce n'était pas la menace d'une possible compensation financière qui l'inquiétait, c'était que l'idée qu'il pouvait abandonner Sinead finisse par mûrir dans son esprit à force de se le faire proposer. De son côté, Cassie se fichait bien de l'aspect financier. Elle gagnait bien moins d'argent que Caelan, mais elle n'avait aucune intention, pour autant, de le dépouiller de ses acquis. Si elle devait se prendre un appartement dans un quartier plus abordable pour vivre avec les filles, Cassie le ferait. C'était, de loin, au bas de l'échelle de ses préoccupations.

L'ex-couple s'avançait vers la sortie de l'immeuble en silence. Caelan appuya sur le bouton descendre de l'ascenseur. Les nombres au-dessus de la porte de ce dernier s'illuminaient lentement, faisant descendre la cabine au rythme d'un escargot. Dans l'attente interminable, Cassie osa briser le silence. « Comment te sens-tu après la rencontre d'aujourd'hui ? », s'enquérait-elle avec sincérité. Au même moment, l'étage trente-neuf clignotait, annonçant que la cabine était bel et bien arrivée à leur étage. Dans un ding agressant, les portes finirent par s'entrouvrir devant eux laissant découvrir une cabine vide. Elle lui laissait entamer le pas à l'intérieur le premier.

Rendez-vous dont l’anticipation créait une nervosité agressive au creux des veines du Gallagher. Le tout s’étirait dans une litanie incessante, tandis qu’il priait pour une fin rapide de cette torture. Blessé plus que de raison, il refusait de regarder en arrière. La langue liée de celle qui avait partagé sa vie pendant tant d’années avait été le coup de massue à l’arrière de la nuque du médecin. Les années de mensonges avaient eu raison de l’amour qu’il avait, un jour, porté à son épouse. Et si les traits doux de l’institutrice lui rappelait, souvent, les moments heureux qu’ils avaient partagés, en famille, ils étaient aussi source d’une douleur cuisante. Aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle. Tous deux assis dans le bureau de leur avocat, la tension au sein des épaules du père était bel et bien présente. Son visage était fermé et il tentait de donner du sens aux paroles de l’homme qui était censé les guider hors de cette impasse. Impasse qui semblait être la leur. Au yeux de Caelan, il s’agissait d’une affaire de divorce, tout simplement. Aux yeux de la loi, ils devaient être fixés sur son désir de continuer à reconnaître - ou non - Sinead. « Vous savez, monsieur Gallagher, vous êtes dans votre droit de vous opposez à la paternité de Sinead. Vous pourrez tenter de démontrer qu'on vous a floué, malgré la présence de votre signature sur son acte de naissance. Dans un tel cas, et si on vous reconnaît votre demande, vous pourriez être exempté des obligations financières la concernant dans votre divorce. Vous pourriez même recevoir une compensation financière de la part de madame. » Les jointures du quarantenaire blanchirent sur l’accoudoir du fauteuil où il était assis. Les mâchoires serrées, il ne pipait pas un mot. Il tentait, tout du moins. Cependant, il était rempli de paroles acerbes et de colère amère. S’il avait découvert que Sinead n'avait aucun point commun génétique avec lui, elle restait son enfant. Il l’avait reconnue à sa naissance, et son patronyme resterait gravé sur l’acte de naissance de la petite fille. Il ne tournerait pas les talons à la prunelle de ses yeux. Malgré les tourmentes que ses origines infligeaient à son cœur meurtri. « Il est inutile de prendre une décision tout de suite. Prenez le temps d'y réfléchir, monsieur Gallagher », précisa le magistrat avant de se redresser. Les prunelles du Gallagher lancèrent des éclairs. Certes, Maître McDonnald était de son côté, mais incapable de faire preuve d’impartialité et faisant entorse à son métier, alors le légiste commençait à éprouver du dégoût face à l’homme de loi. N’avait-il pas honte de parler à ses clients de la sorte ? « La décision est toute prise. », grinça-t-il avant de serrer la main de l’avocat, à contre-cœur. Sa rancœur envers Cassie était la sienne, pas une arme contre cette dernière, par conséquent contre ses filles. Quel type de père serait-il, s’il acceptait de se réduire la jeune femme en poussière ? Quel type d’homme serait-il ? Il était furieux, mais incapable de faire de cette trahison un venin qui blesserait celle qu’il avait aimé si ardemment. Dans un soupir, ils quittèrent le bureau pour s’engouffrer dans le couloir puis attendre l’ascenseur. Mutique, il gardait le silence. Il ne savait pas s’il était capable d’avoir une conversation sans être blessant. Pourtant, la voix de sa femme s’immisça à son oreille. « Comment te sens-tu après la rencontre d'aujourd'hui ? » Il déglutit difficilement, une boule obstruant sa gorge tandis qu’il se glissa à l’intérieur de la cage de fer. « Agacé qu’on me pense assez superficiel pour tourner le dos à ma fille. », répondit-il avec raideur. Lorsque la silhouette gracile de Cassidy fut à l’intérieur, il pressa le bouton du rez-de-chaussé sans plus de paroles. Les rouages de l’ascenseur grincérent dans un gémissement de fer avant de se stopper net, trois étages plus bas. L’arrêt fut brutal, si bien que Caelan vacilla sur ses pieds et percuta le mur de son épaule droite. « Hmpf. » Il retint un juron avant de tourner le regard vers la jeune femme partageant la cabine avec lui. « Est-ce que ça va ? », demanda-t-il avec une certaine angoisse présente dans sa voix. Après s’être assuré que la Holt allait bien, il se dirigea vers le bouton d’appel, qu’il pressa sans ménagement. « Serait-il possible d’avoir de l’aide ? Nous sommes coincés au 36e étage ! » Monsieur, je vous envoie une équipe. Mais je ne peux pas vous garantir qu’ils arriveront tout de suite. Un soupir franchit les lèvres du médecin avant qu’il ne s'adosse au mur de métal. « Génial. » Cela voulait dire qu’il allait devoir partager les prochaines heures dans le même espace confiné que Cassie. Lui, qui souhaitait lui adresser la parole le moins possible. Lui, qui avait déjà du mal à supporter les rendez-vous chez l’avocat. Ils étaient dans de beaux draps.

« La décision est toute prise. », phrase qui fit sortir la blonde de ses pensées terribles. La voix grave et sérieuse de celui qui était encore aux yeux de la loi son mari était tranchante. Mais sans vouloir s'emballer face à une toute petite phrase, eux qui n'en avait pas le moindre discuté, Cassie tentait de ne pas de laisser influencer par la lueur d'espoir que le ton de Caelan révélait l'implication parentale qu'il souhaitait maintenir avec ses filles, même celle qui n'était pas sienne finalement. À cette dernière pensée, un courant électrique de dégoût lui traversa le corps, du bout de ses orteils à la cime de sa tête. Elle se dégoûtait. Et elle s'en voulait. Tous les mots, tout le temps du monde ne serait pas suffisant pour effacer l'ignoble personne qu'elle avait été durant de trop longues années. Ça la ramenait, des années en arrière, alors qu'elle avait tenté d'oublier un homme qui était tout sauf bien pour elle en se noyant dans son travail, en se plongeant tête première dans les dossiers scolaires et l'apprentissage d'un nouveau poste, se disant que si sa tête était occupée à autre chose elle ne reviendrait pas vers lui en rampant, elle ne serait pas l'une de ces femmes pathétiques qui restent accrochées à une relation terminée qui n'en valait tout simplement pas le coup. Elle se revoyait se brûler au travail, sans sens réel à sa vie, épuisée de pleurer un homme qui ne pourrait jamais l'aimer à la valeur de la personne qu'elle était et d'une vie vouée à l'échec. Elle se revoyait, accepter un rendez-vous à l'aveugle, se disant que de sortir ne lui ferait pas de mal, qu'une rencontre n'engageait à rien. Elle se revoyait, se laisser surprendre par le charme de Caelan, la façon maladroite qu'il avait eue de se présenter à elle, mais qui lui avait fait aimer toute la pureté de son être. Elle se revoyait, tomber amoureuse et avoir la trouille de se lancer trop rapidement dans quelque chose de trop gros pour elle, trop rapidement. Elle se revoyait, tenter de combattre la force de son coeur pour finalement le laisser l'emporter. Elle se revoyait, découvrir qu'elle portait la vie, complètement terrifiée, amoureuse et prise dans une impasse. Et elle avait envie de pouvoir revenir dans le temps, faire machine arrière, crier à cette Cassie en boule sur le parquet de la salle de bain de son appartement en larmes que ça ne valait pas la peine de mentir, que la vérité triomphe toujours et que quand bien même que Caelan déciderait de la quitter, c'était à lui de faire le choix. Que ça ne valait pas le coup de faire du mal à la personne qu'elle aimerait le plus au monde pour toute sa vie. Que par amour, il fallait laisser parfois la chance à l'autre de quitter pour être plus heureux. Et finalement, c'était ce que Cassie devait accepter : laisser à Caelan la chance de la quitter pour être heureux. Son bonheur, ce n'était pas elle finalement.

Ces pensées envahissantes qui cheminaient dans son esprit la suivi alors que les deux parents quittaient le bureau de leur avocat pour se diriger vers l'ascenseur. Cassie refoulait toutes les émotions qu'elle ressentait, par châtiment. Parce qu'en ayant fait du mal aux autres, elle ne méritait pas de laisser paraître ce qu'elle ressentait comme douleur. La blonde s'enquit tout de même un questionnement vers celui qui deviendrait bientôt son ex-mari, sincèrement intéressée par lui. Ce à quoi, il répondit avec tant de sécheresse qu'il en fit glacer le sang de Cassie. « Agacé qu’on me pense assez superficiel pour tourner le dos à ma fille. » La blonde hocha la tête. Rien de ce qu'elle voulait lui dire ne serait les bons mots, elle osa quand même un semblant de réponse au risque de s'attirer ses foudres. « Tu seras toujours son père, quoi qu’on puisse en dire... Ça aura toujours été toi... », murmurait-elle presque alors que Caelan ne la regardait pas. Il prit le contrôle de la situation en pianotant le rez-de-chaussée de l'immeuble sur le tableau de bord de l'appareil. Un ding vint combler leur silence alors que les portes se refermaient. Cassie baissait les yeux vers ses escarpins, nouant ses doigts devant elle nerveusement. Sa respiration était faible, presque coupée, pour ce qu'elle aurait cru être une descente dans un silence interminable jusqu'à leur séparation en quittant l'édifice. Pourtant, le destin en avait joué autrement, choisissant que leur moment ensemble ne pût se terminer maintenant. La cabine du vieil ascenseur se stoppa nettement, faisant perdre l'équilibre à ses occupants. Instinctivement, dans la bousculade de l'arrêt, Cassie chercha appuie sur le bras de Caelan, touché qu'ils n'avaient pas eu depuis bien longtemps, le dos de sa tête qui se heurtait contre les parois de métal. Alors que la cabine était à présent immobile, elle retira rapidement sa main presque gênée d'en avoir eu ce réflexe. Il se retourna enfin vers elle, la regardant. « Est-ce que ça va ? » Cassie hocha la tête. « Oui... Pardon », s'excusait-elle pour avoir incité un mouvement vers lui, ignorant complètement que sa tête lui faisait un peu mal.

Il se tourna ensuite à nouveau vers le tableau de contrôle, tentant de communiquer avec de l'assistance. Cassie en profita pour se frotter l'arrière de la tête, écoutant avec attention la scène. « Monsieur, je vous envoie une équipe. Mais je ne peux pas vous garantir qu’ils arriveront tout de suite. », l'informait la pauvre dame de l'immeuble. Caelan perdait patience, clairement contrarié d'être coincé dans cet espace clos avec la personne qui appréciait le moins au monde à l'instant présent. Cassie soupira discrètement, refoulant encore ses émotions. Ils en étaient donc là, à présent, à être horrifié d'être forcé à passer du temps ensemble. Une émotion voulait l'envahir, mais elle posait son masque parfaitement imperturbable. « On peut se tracer une ligne au sol pour avoir chacun son côté de la cabine... », lâcha-t-elle doucement pour briser le silence alors qu'elle laissait son corps glisser contre son côté du mur de métal jusqu'à s'asseoir au sol. Cassie retira ses chaussures, repliant ses jambes vers elle en les entourant de ses bras. « De toute façon, on ne peut rien faire de plus... », annonçait la blonde en se frottant de nouveau l'arrière de la tête.

@Caelan Gallagher