Le regard du Townsend toise l’horizon et les vagues qui viennent lécher les poteaux des quais autour de lui. L’air qui s’échappe de sa bouche rencontre la fraicheur de l’hiver, même si nous sommes bien loin des records négatifs enregistrés l’année dernière et de la tempête de froid qui s’est abattue sur la ville. Comme quoi, deux-mille-vingt-trois avait commencé de manière très annonciatrice pour l’avocat. Une année qui l’a mis au tapis à plusieurs reprises. Une année durant laquelle il lui a été difficile mais forcé de revoir ses priorités. Une année où le moral s’est retrouvé de nombreuses fois six pieds sous terre. Mais une année qui lui aura aussi appris énormément de choses et à travers laquelle il sera finalement arrivé à consolider sa relation avec Ophelia. À l’évocation de sa petite-amie à son esprit, l’homme tourne le regard vers les terres, et plus précisément vers le kiosk qui ne vend que des cafés à emporter. C’est là que sa sœur doit le retrouver. Comme si cet endroit était le seul lieu de rendez-vous possible pour les Townsend. Fouler les planches de ces quais n’a pas toujours été facile, mais c’est toujours ici qu’ils ont fini par se retrouver.

Les mots de Liam résonnent encore à son esprit. Balancés après le repas familial de Noël, Elliott en retient un fort mécontentement quant au fait qu’il ait demandé à Jonathan et lui de garder leurs bouches fermées à propos de son récent divorce officiel. Leur mère, Maeve et Samuel ignorant l’avancée de l’ex-couple en ce sens. Et l’ainé n’avait aucune envie d’amener le sujet sur le tapis ce soir-là. L’année deux-mille-vingt-trois avait été assez éprouvante pour s’affubler de cette tâche, qui plus est à Noël. Alors le cadet l’avait menacé de le balancer auprès des autres s’il ne s’en chargeait pas lui-même. Si cela importe peu à Elliott que Sam l’apprenne d’une autre bouche que la sienne –il préférait, même– ce n’était pas le cas à propos des femmes de la famille. Quelques échanges de messages plus tard, les frangins avaient convenu de se retrouver pour discuter. Elliott, il appréhende beaucoup. Parce qu’il ne fait plus assez attention à sa sœur. Parce qu’il n’a plus réellement été présent pour elle. Parce qu’il ne lui a plus trop donné de nouvelles depuis que son plâtre lui a été enlevé. L’excuse de la reprise du boulot au-dessus de tout ça. Pendant les fêtes de fin d’année, le grand brun était resté dans son coin, plutôt mutique et observateur, comme à son habitude lorsque Sam est dans les parages.

La silhouette de la rousse finit par se dessiner. Les liens qui serraient son cœur jusqu’alors laissent un peu plus de place à son myocarde mais une nouvelle pierre tombe dans son estomac. Il s’approche du kiosk, lui aussi, jusqu’à elle. Jusqu’à une étreinte fragile et un baiser sur les cheveux. Habitude qui ne disparaitre jamais. « Bonjour sœurette. » lui adresse-t-il avec un fin sourire sur les lèvres. Il range ses mains dans ses poches, mal à l’aise. En bafouillant presque, il la remercie d’avoir accepté son invitation. Le sentiment est réel. Il se doute du courage que ça lui a demandé. Il lui en a fallu presque autant pour envoyer le premier message. « Qu’est-ce que je peux t’offrir ? » propose-t-il en se tournant vers le vendeur. Commencer par des banalités, c’est bien plus facile. Mais ça ne sauve pas les meubles bien longtemps. « Ça se passe bien pour toi en ce moment à la librairie ? » demande-t-il après s'être éclairci la gorge. Elle en a certainement parlé il y a quelques semaines. Mais il n’a pas écouté. Il n’écoute pas quand sa famille est réunie. Il est bien trop occupé à combattre la liste des remords qui s’allonge.