La douleur, elle ne l’avait jamais véritablement craint. Rythme de vie a cent à l’heure, le monde a toujours pris soin de son corps et son esprit n’a jamais eu à véritablement s’inquiéter. Elle l’avait déjà ressenti, l’intensité d’un membre, le hurlement du corps au cerveau ou plutôt du cœur au corps entier. Elle avait pu se crisper, subir, souffrir. Par amour, par maladie mais jamais à ce point. Pic intense planté dans le bas du ventre, elle refuse. Elle s’interdit de croire en une réalité qui pourtant est bien réelle. La fièvre s’est emparée de sa peau, la chaleur et le froid viennent crisper ses membres dans des contractions particulières. Les violentes secousses de son ventre se répercutent sur son estomac alors que seule la bile peut maintenant sortir venant brûler son œsophage. Pourtant, têtue, elle refuse. Son médecin, Dr McAdams n’est pas là. Il est le seul dans le secret, le seul à pouvoir comprendre, à pouvoir se taire sur ce qu’il se passe. Il est le seul à connaître la véritable trahison qu’elle a faite à sa famille il y a seize années maintenant, leur refusant tout héritier, leur refusant d’être la mère d’un enfant qui ne serait pas celui de son Tobias. Il est le seul à pouvoir venir, à pouvoir soigner ce mal qui l’habite. Son avion est sur le retour, il ne devrait plus tarder, et alors elle acceptera. Les visages inquiets des Mahon, des hommes Mahon, se dessinent face à elle. Esras fulmine alors que Cillian tente de comprendre. Pourquoi sa sœur, pourtant si droite et réaliste refuse de voir le corps médical alors que clairement son corps devient incapable de fonctionner convenablement. Plus blanche que la normale, presque verte, elle a du mal à parler mais refuse tous soins potentiels. Ils montent les deux hommes, elle le sait et plus les heures défilent, plus son état s’empire, plus ils sont proches de mettre à la porte sa demande et d’envoyer valser l’attente du médecin dédié pour que les spécialistes de la famille prennent le relai.

De nouveau, la douleur fulgurante vient lanciner son être et elle finit par se plier la reine de glace, par savoir qu’elle ne pourra pas tenir et que son jeu devient dangereux. Sa conscience s’évapore doucement sous le joug des troubles qui se mêlent en elle. Nausées récurrentes, sa vision devient floue alors qu’elle a l’impression de devenir folle. Des allusions, illusions peut être. La porte d’entrée s’ouvre suite à un fracas, des paroles, des grondements, une voix devenue familière arrive à ses oreilles mais elle doit froncer le front pour retrouver son appartenance. Est-ce donc cela le véritable lien d’une mère et sa fille ? Ce fil invisible qui vous dit que votre enfant ne va pas bien sans même qu’il soit présent ? Sans qu’il ne vous le dise ? Sophie était donc vraiment ce type de personne ? Cette mère qui sait, qui s’occupe et qui est là, pour toujours et à jamais, sans jugement, juste pour vous ? La main de la sexagénaire vient se poser sur son front et sa joue, alors que doucement son visage devient net aux yeux de la cheffe d’entreprise. Elle entend mais ne comprends pas les mots de la Harper. Elle voit, elle croit comprendre, qu’elle s’inquiète la mère de famille. Sophie comprend d’où la douleur vient probablement dû à la position de ses bras plaqués contre celle-ci. « Sophie… » le souffle de la Mahon est presque inaudible mais elle tente de vérifier que son frère et mari ne soient pas dans la pièce. Qu’ils ne puissent l’entendre. Alors que la main de sa mère biologique se pose sur la sienne, elle vient, pour la première fois la serrer, la maintenir comme un besoin, comme un lien sincère et réel, celui qu’elles auraient pu, qu’elles auraient dû partager si la vie s’était déroulée autrement…

2009, San Francisco

« Vous savez que cette procédure comporte des risques Madame Mahon ? » Il pose la question en la regardant, sachant pertinemment qu’elle est au courant. Elle, la gamine qui a passé son enfance dans la librairie de sa famille, celle qui passionnée par la science s’est rapidement fait un avis sur les médecins et les autres scientifiques, celle pour qui le corps humain comme l’anatomie d’un ordinateur n’a aucun secret. Elle fait oui de la tête, et signe tout de même les papiers. Les risques sont minimes comparés à l’autre solution qui pour elle est bien plus effroyable. « Vous m’assurez que rien de tout cela ne sera jamais dans mon dossier ? » Il sait que si un jour, un Mahon est au courant, alors il risquerait sa carrière est bien plus, le médecin. Il confirme, signant lui-même ce papier qui restera à jamais entre eux. « L’opération inverse est quasi impossible et vous avez même de manière minime, un risque de grossesse extra-utérine. » Elle sourit, fatiguée de cette remontrance qui part pourtant d’un bon sentiment. Elle est au courant, mais se fait aussi doucement une raison. Même si elle cherche, qu’elle espère toujours, les chances qu’elle veuille faire l’opération inverse dans les quinze années à venir sont extrêmement mince. Quand il installe le masque sur son visage pour l’endormir, la larme qui coule doucement sur son visage, est pour celui qui, à ces côtés, n’aurait jamais donné la raison de faire cette opération. Celui qu’elle éloigne un peu plus par cette opération silencieuse qui détruit d’autant plus leur avenir…

Present day

« Je ne peux pas être enceinte… j’ai rendu cela impossible. » Elle accroche le regard azur de la matriarche espérant qu’elle arrive à la bonne conclusion. Celle qu’elle s’est faite tout du moins avec sa connaissance fine du corps humain et des réactions possibles de ce dernier. Elle sait ce qui lui arrive, elle connaît les conséquences potentielles mais ses réactions sont toujours vives car elle connaît aussi les conséquences de la réalité sur la famille qui l’a élevée, elle sait que les réactions pourront être détonantes et dangereuses. Et sans se l’avouer d’autres facteurs entrent également en jeu. La déception potentielle dans le regard de Sophie, la désolation d’une mère qui a porté la vie tant de fois et notamment la sienne. La peine causée à Tobias qui aura du mal à comprendre sa décision pourtant bien réfléchie, et son propre mal, cette douleur d’être probablement en train de perdre une deuxième vie, une deuxième fois un enfant qui pourrait être celui de l’homme de sa vie… « Je suis désolée… » Désolée parce qu’elle avait enlevé une part d’elle qui aurait pu la rapprocher de cette mère encore inconnue, désolée parce qu’elle s’était enlevée la capacité d’être mère, désolée de la décevoir comme si dans aucune de ses vies elle pouvait rendre fière sa mère, désolée de tenir à ce secret plus qu’à sa vie, désolée de la mener ici, dans cette vie de Mahon, désolée parce qu’elle ne pourra comprendre, désolée tout simplement… Toutefois, la confiance étrangement aveugle qu’elle a en cette femme prend le dessus, et doucement elle se laisse aller, elle arrête de vouloir prendre le dessus et de se battre contre elle-même. Elle se laisse aller à une réalité autre, celle où Sophie aurait pu être sa véritable mère, celle où la vie aurait eu un autre goût. Celle où le bonheur aurait été encouragé par ses parents, et où elle aurait pu échanger simplement avec celle qui l’avait élevé sans faire de secret sur l’ensemble de sa vie, celle où elle aurait pu dire à cette femme, merci et je t’aime, sans avoir l’impression de trahir un monde et elle-même en même temps.

Juin 2021, Claregalway, Irlande

Là, devant la clinique, ou tout du moins l’ancienne bâtisse qui comportait la clinique trente-sept ans plutôt, elle se tient, le regard planté dans celui qu’elle avait pu entrevoir le jour de sa naissance. Voyage étrange mais nécessaire, elles sont venues dans ce pays qui les a uni, ce pays qui est une grande part de réponse dans leurs histoires aux deux femmes. Mère et fille, face à l’instant où elle a poussé son premier cri. Face à ce lieu où pour la première fois, elles se sont quittées pour de longues années. Même elle, femme de glace, entre les explications qu’elle a donné toute la journée à sa mère biologique et le moment, raconté par la Harper, elle a du mal à cacher son émotion Eileen. Les ‘et si’ circulent dans son esprit comme des coup de fouet lacérant son dos, des poignards dans son cœur. Puis, le nom de Tomas vient. Ce père perdu et jamais connu. Pourtant, c’est un léger sourire qui illumine son visage trop souvent fermé. Elle est reconnaissante que Sophie soit celle toujours en vie. Sa relation avec Oèn, était si particulière qu’elle n’aurait pas souhaité rencontrer Tomas, pas seul en tout cas. Sophie, elle, tout était différent. Par sa relation avec Ailise, mais également par ce que cette femme dégage. Ce sentiment de sécurité, de bien-être dans son entourage, cette bienveillance toujours au creux du regard. Cette voix qui sonne toujours comme un carillon, une madeleine de Proust retrouvée. C’est un sentiment étrange qui s’empare d’elle. Celui de vouloir la rendre fière, d’être proche, à sa manière. Pas par obligation comme elle l’avait toujours fait avec la Mahon, mais bien par une attirance particulière, un besoin, celui de conserver ce sourire si rassurant sur son visage…

Present day

« Mom… » Un souffle, sans que son esprit le retienne, un appel, à la dernière personne qu’elle a vu, la dernière envers qui elle s’est accrochée. Mot jamais prononcé pour cette femme, elle revient doucement. Sa conscience vacille et seuls des flashs restent de la suite jusqu’à son réveil dans une chambre d’hôpital, Sophie endormie à son chevet. Doucement ses yeux s’habituent à la lumière de la pièce et la réalité revient à elle, une larme venant dévaler sa joue. « Depuis combien de temps es-tu la ? » Elle demande la voix enrouée et la bouche pâteuse dû à l’opération qu’elle a dû avoir. Sa tête est douloureuse mais surtout son bassin où elle sent parfaitement une nouvelle coupure qu’elle n’aurait jamais dû avoir. Elle n’a pas l’habitude la princesse des ténèbres qu’une mère veille ainsi à son chevet, pas par elle-même. Normalement un sbire serait là pour attendre son réveil et prévenir son époux et sa famille qui feraient, pour certains, les cents pas ailleurs. Non. Sophie était restée, elle avait veillé jusqu’à ce que doucement, le sommeil l’emporte probablement. Toutefois, elle tente de mettre l’ensemble de côté et se concentre sur les faits pour ne pas montrer son ressenti et sa reconnaissance pourtant plus que réelle envers cette femme qu’elle apprend à aimer au fil du temps. « Qu’est-ce qu’ils ont fait ? » Elle n’ose regarder son corps pour le moment, cherchant d’abord la théorie à sa réponse et espérant qu’ils ont accepté de le dire à la femme devant elle. « Esras et Cillian sont là ? » Elle sait qu’ils doivent l’être mais aimerait qu’ils restent loin encore quelques secondes, ou au moins se préparer à devoir les affronter. Ses pensées vont instinctivement vers Tobias, mais elle ne peut pas demander sa présence, pas maintenant, encore moins alors qu’elle a potentiellement perdu, un deuxième de ses enfants… Elle espère pourtant, et se tait dans ce désir, regard posé sur Sophie qui détient, peut-être des réponses à ses questions.

Sous les paupières qui battent, les iris de la Harper se sont ternies. À cause du temps. À cause des soucis. À cause de l’énergie qui s’amenuise. Les pupilles, elles, retentent alerte. Une forme anxiété s’est installée sous sa peau à l’instant même où elle a mis au monde son premier enfant. Une préoccupation qui, avec les années, ne fait que grandir. Un feu ardent avec lequel elle a appris à cohabiter. Vidée, Sophie sent l’épuisement se disperser dans ses veines. L’échine courbée depuis la chaise vers le lit d’hôpital. Une main qui reste fermement attachée à celle, las, de la patiente qui reprend des forces. La mère attend que son enfant rouvre les yeux. Ce qu’elle lui dira, cela fait cent fois qu’elle l’a tourné dans ses pensées. Avec Eileen, il ne faut pas y aller par quatre chemins. Il ne faut pas non-plus changer les mots pour rendre les phrases plus belles. Il faut aller à l’évidence. Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal. En quelques heures à peine, la matriarche s’est pris la dose d’inquiétude d’une vie concernant celle qui lui a été retirée quelques minutes après avoir pointé le bout de son nez sur cette terre. Et Sophie, elle n’est pas là parce que Elieen n’a personne. Elle n’est pas là parce qu’elle ne l’a jamais été. Elle n’est pas là parce qu’elle n’a jamais pu l’être. Elle est là parce qu’elle ne pourrait être nulle part ailleurs. Elle est là parce qu’elle est là, sa place. Elle est là parce qu’elle doit prendre soin d’elle. Et tenter de la protéger de ceux qui ne pensent pas à son bien être en premier lieu.  

En faisant les cent pas dans la salle d’attente pendant que Eileen était sur la table d’opération, Sophie a jugé utile et nécessaire de prévenir Tobias. Pas pour lui conter une histoire qui n’est pas la sienne, mais bien parce qu’elle sait pertinemment qu’il est la seule personne sur cette terre à tenir plus à sa fille qu’elle-même. Ce jeune-homme, elle a entendu parler de lui à travers la bouche de l’être aimé, à travers celle qui l’a décrit de la meilleure des manières. Des mots transperçant de regrets et d’amour, de respect et de tristesse. Une histoire à moitié vécue. Jamais à cent pour cent. Jamais sans que ça ne leur soit permis. Et puis cet homme, elle l’a croisé au cours d’une visite chez le vétérinaire avec le chien de Mark. Un tableau accroché au mur qui lui a permis d’assembler les pièces du puzzle. Une étincelle dans ses yeux à l’évocation de la brune. Un secret qu’elle a bien évidemment promis de garder au creux d’elle pour les préserver. De lui, elle n’a que ce contact public en passant par le cabinet. Contact établi avec la secrétaire. Sérieux et urgence dans la voix tout en restant vague sur les raisons, demandant de faire passer le message pour qu’il la recontacte. Elle n’a rien dit de plus. Pas même parlé d’Eileen. Il rappellera. Elle en est convaincue.

En début d’après-midi, ses pas l’ont menée jusqu’à la propriété des Mahon. Sans invitation, cette fois, et dans l’intention de pénétrer dans le manoir, qu’on l’y autorise ou non. C’est le silence de la Mahon qui l’a menée jusqu’ici. Un rendez-vous non confirmé mais l’attente tout de même à ce café sur le temps de midi. La société qui l’annonce absente depuis quelques jours. Quelque chose ne va pas s’est-elle dit. Rien de tout ça ne ressemble à la chef d’entreprise. C’est en se laissant mener par son instinct qu’elle s’est retrouvée face à deux montagnes de muscle désormais démunies. Des yeux ronds comme des billes en voyant la vieille femme débarquer devant eux. Et au travers, une Eileen qui se tord de douleur, qui laisse les maux irradier dans des gémissements de douleur. Les yeux de la mère s’agrandissent, stupéfaits. « Elle refuse de voir quelqu’un d’autre que le Dr. McAdams. » se justifie l’un sans l’autorisation de l’autre qui n’est pas content que le frère d’Eileen ait vendu la mèche si vite. Elle n’a pourtant rien demandé, Sophie. Elle les regarde un à un, transperce leurs regards. « Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre de votre Docteur machin chose ! Vous allez la laisser dépérir devant vos yeux sans rien faire encore longtemps ?! Elle vous semble réellement en état de décider quoi que ce soit ? » La colère monte et elle les engueule comme elle a rarement engueulé quelqu’un. Les adjectifs à l’en encontre viennent se bousculer à son esprit. Les termes inconscients et inutiles reviennent souvent. Elle a cependant l’impression de s’égosiller dans le vide. La Harper décide de s’avancer vers la vision d’horreur, bousculant leurs carcasses. Elle ne sait pas si ses actes auront des conséquences et elle s’en fiche pas mal. Elle les laisse penauds derrière elle, s’empêchant de franchir le seuil de la porte comme s’ils allaient brûler s’ils osaient pénétrer dans la pièce. En se posant aux côtés de la malade, Sophie vient créer une bulle et l’enveloppe de douceur, d’un univers qui ici, n’a pas sa place. Dans un murmure, la mère demande à sa fille où elle a mal. La réponse semble évidente mais Eileen est plus préoccupée de savoir si elles sont surveillées ou non. Les doigts ridés de la vieille femme viennent délicatement caresser une mèche de cheveux d’un éclat brun. « Il n’y a que toi et moi. » murmure-t-elle encore plus bas. La peur semble plus intense que la douleur qui se disperse et se mêle au niveau du bas du ventre de la Mahon. « Eileen, est-ce que tu es … » « Je ne peux pas être enceinte… j’ai rendu cela impossible. » Surprenante, Eileen vient arracher les mots de la bouche de la matriarche. Les sourcils s’inclinent. Elle ferme les paupières comme un accord muet. Ce n’est pas parce que tu ne peux pas l’être que tu ne l’es pas. Si ce n’était pas cela, elle n’attendrait pas un médecin en particulier. L’air s’engouffre dans les poumons de la Harper. Quoi que ce soit, elle doit aller à l’hôpital. Maintenant. S’il n’est pas déjà trop tard. « J’peux pas te laisser là. On ne peut pas attendre, Eileen. Il faut y aller. » Elle ne sait pas si elle l’a convaincue ou si Eileen a capitulé. La minute d’après, Esras déposait le corps de l’Irlandaise dans l’habitacle du véhicule et Cillian les conduisait vers l’hôpital le plus proche.

Sophie ne sait toujours pas pourquoi ni comment elle est parvenue à asseoir son autorité sur eux, mais les Mahon sont resté à l’extérieur du centre hospitalier. Aux urgences, elle déballe tout ce qu’Eileen n’aurait jamais osé dire. Indiquant qu’elle pense que la jeune femme est enceinte, même si elle a subi une opération pour rendre cela impossible. Au moment où ils l’emmènent, Sophie sait qu’Eileen est à moins de deux doigts de la mort.

« Mom… » Les paupières exténuées avaient fini par se fermer. Par ce mot soupiré, elles se rouvrent pour croiser le regard d’Eileen. Est-ce un doux rêve ? Sophie s’en contenterait. Il fait nuit à présent. Tout est sombre dehors, sauf quelques lumières ci et là. Un sourire tordu par les émotions se dessine sur les lèvres de la mère. Elle ne se rend pas bien compte du nom que sa fille vient de lui donner parce que ce qui compte, c’est qu’elle est réveillée. Une larme s’échappe des pupilles de la brune. Une que Sophie ne pourrait empêcher de tomber. « Depuis combien de temps es-tu là ? » demande-t-elle, une pointe de surprise dans la voix. La question étonne Sophie, puis elle se souvient du monde dans lequel la fillette a grandi. « Je ne t’ai pas quittée. » La métaphore est presque réelle. Bien sûr qu’elle a dû rester à l’écart le temps de l’opération. Mais dès qu’elle en est sortie, elle était là. Et sa main dans la sienne l’est restée tout le long. « Qu’est-ce qu’ils ont fait ? » demande-t-elle enfin. Cette question à laquelle Sophie s’est préparée, suivie d’une autre. « Esras et Cillian sont là ? » Toujours cette peur d’être épiée, cette sensation de ne pas pouvoir vivre sans leur omniprésence. Le cœur de la mère se tord un peu plus en réalisant l’emprise qu’ils ont sur elle. « Ils attendent en bas. Je leur ai interdit d’entrer. » répond-t-elle. Qu’Eileen y croit ou non, c’est bien la règle à laquelle les deux hommes se sont pliés. La vieille femme, quant à elle, ne se leurre pas. Elle sait très bien qu’ils ont plus peur de ce que Eileen leur fera vivre si elle apprend qu’ils n’ont pas suivi les ordres que l’autorité qu’elle n’a aucunement sur eux. La Harper se redresse sur son siège et remet son pull en place avant de revenir au regard de sa fille et à la question qui attend réponse. Après une courte inspiration, Sophie se lance, préparée. « Après avoir diagnostiqué une grossesse extra-utérine, ils ont effectué une laparotomie pour interrompre la grossesse. Ils ont retiré le fœtus et le placenta ainsi que la trompe de Fallope. Elle était irréparable. Ils bien cru devoir en arriver à une hystérectomie tellement c’était en mauvais état mais le Docteur McAdams est arrivé et a arrangé ça. » Des faits. Rien que des faits. Elle a bien envie de la gronder et de lui demander ce qui lui est passé par la tête pour avoir laissé les choses durer et le mal s’installer sans réagir mais l’heure n’est pas aux remontrances. Le regard de la vielle femme est rempli de peine tandis que son pouce vient caresser le dos de la main de la patiente. « Comment est-ce que tu te sens ? » lui demande-t-elle enfin. Le cœur de la mère a besoin d’être libéré. Elle a besoin de savoir que la frayeur est passée et qu’elle fera tout pour aller mieux à présent.Même si aux oreilles de la Mahon vient de retentir le pire.