La pluie bat bruyamment sur les vitres de la voiture de laquelle Cole n’a pas encore trouvé la force de sortir. Cela fait de longues minutes qu’il est garé devant son immeuble, mais une fois qu’il a coupé le contact, ses membres ont tout simplement refusé de se remettre en mouvement. L’architecte est complètement abattu par les nouvelles qu’il a apprises ce soir et les informations qui y sont liées. Il ne l’a pas vue venir, la maladie de son ex-petite-amie. Ou plutôt il a refusé de la voir venir. Les signes, pourtant, ont été nombreux. Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il comprend que chaque pièce fait partie d’un puzzle que Naomi a créé d’une précision impressionnante. ‘Je pouvais pas te le dire, Cole. C’est pour Jude que j’ai fait tout ça. Il fallait que tu deviennes un vrai père pour lui. Et il fallait que tu le deviennes parce que tu en avais envie et non parce que je t’y obligeais.’ Oui, c’est pour se rapprocher de lui, d’un père absent qui devra un jour prendre la relève, qu’elle a abandonné sa vie à New York. C’est parce qu’elle n’avait pas toujours la force qu’elle lui demandait parfois de garder leur fils plus longtemps ou d’aller le chercher plus tôt. C’est pour toutes ces raisons évidentes qu’elle l’a laissé prendre sa place de père et qu’ils se sont si bien accordés pour une garde partagée. Elle qui lui en a tant voulu de ne pas avoir pu rester pour leur fils, pour eux. La rancœur, elle l’a mise de côté pour le bien de leur gamin, exactement ce qu’une mère ferait. Il ne pensait pas les mériter, les sautes d’humeur de Naomi qui lui sautait parfois à la gorge en lui demandant de prendre ses responsabilités. Des responsabilités qu’il prenait petit à petit, de sa vision des choses, parce que ce n’était ni facile ni inné pour lui de se retrouver à nouveau tous les trois dans la même ville et de s’occuper de son enfant plus régulièrement. Il sait aujourd’hui que c’est pour elle que rien n’était facile et imagine à peine à quel point ça a dû lui fendre le cœur de se dire qu’un jour Cole serait celui qui resterait et qui s’occuperait de lui à plein temps. Ce même homme qui, durant les premiers mois de vie de leurs fils, était incapable de regarder le bébé dans les yeux.

Des larmes de rage commencent à perler au coin des yeux du grand brun et c’est un coup de poing qu’il lance dans son volant, comme pour décharger une partie des regrets qui le constituent. Il le lui avait dit, Jude, qu’il trouvait sa maman souvent fatiguée, parfois malade, et Cole l’a rassuré en lui disant que c’était une fragilité due à l’hiver. Et puis l’hiver est passé, le discours de l’enfant restant inchangé et même Aubrey a commencé à insister sur le fait que ce n'était pas normal. Alors il est allé la voir pour prendre de ses nouvelles. Elle était en pleine forme, ce jour-là, Naomi, il s’en souvient encore. Et elle a parfaitement sauvé les apparences. Une force de caractère incroyable qu’il lui reconnait bien. À l’hôpital, devant son teint pâle et terne, il s’est retenu de l’engueuler. ‘Pourquoi tu ne nous l’as pas dit ? On aurait pu t’aider, merde !’  sont certainement les mots qui seraient sortis de sa bouche. Parce qu’il ne comprend pas, l’anglais, pourquoi elle s’est martelé en tête d’affronter ces pénibles épreuves toute seule. Est-ce à cause de lui ? Parce qu’il les a abandonnés et l’a forcée à toujours tout entreprendre toute seule ? Il ne peut s’empêcher de se poser la question.

Son bras se lève et ses doigts accrochent la poignée de la portière. Il est temps de rentrer chez lui. Il gravit les étages en prenant les escaliers, repoussant sans le vouloir le réconfort d’Aubrey dont il a besoin plus que tout. Le soleil s’est couché sur la ville depuis deux heures au moins et il prie intérieurement pour que la Cavendish ait fait le nécessaire pour ne pas alarmer Jude et parvenir à le mettre au lit. Il tourne enfin sa clé dans sa serrure et n’a pas le temps de faire deux pas dans le hall d’entrée qu’il est accueilli par Kovu, son chien. L’homme enlève sa veste et la pend au crochet avant de tourner son regard vers le fond du couloir, où se tient Aubrey. Il s’approche, ayant le sentiment de tenir debout par magie. « Elle… elle a un cancer. » lui adresse-t-il tout en venant se coller à son corps chaud. Il la serre contre lui comme si sa vie en dépendait. Elle est tout ce dont il a besoin. Il sait qu’il ne lui apprend rien, qu’elle était déjà au courant mais qu’elle ne pouvait rien lui dire. « Elle ne va pas bien du tout. » poursuit-il tout en ayant l’air de le réaliser enfin, les mots se bloquant dans le fond de sa gorge. Et il a le sentiment qu’elle s’est déjà trop battue.

L’esprit de la Cavendish était loin d’être au repos. Ses prunelles se perdant de temps à autres sur l’horloge qui ornait le mur du logement qu’elle partageait avec le Davies. Ses sens en alerte à chaque goutte de pluie qui tapait contre les carreaux de l’appartement. L’architecte l’avait prévenu qu’il était parti voir Naomi. La gorge de la jeune femme s’était serrée parce qu’elle savait ce qu’il allait y trouver et qu’elle n’avait pas pu le prévenir de la désillusion qui l’attendait. Depuis le jour où elle avait découvert la vérité sur la mère de Jude, elle avait eu cette brûlure au creux de l’estomac. Elle avait l'impression de trahir l’homme de sa vie en gardant le silence sur la maladie de la femme qui avait partagé sa vie. Cependant, elle était aux prises avec le secret médical qui la liait avec l’ex petite-amie de Cole. Alors, du mieux qu’elle avait pu, elle avait lancé des perches à l’anglais. Elle avait élevé le ton avec la génitrice de son fils, aussi. Ils ne pouvaient pas avancer de la sorte, aveugles se rapprochant d’une falaise fatale. C’était un sort injuste qu’elle leur réservait et ce, malgré tout ce qu’ils avaient pu vivre d’amer. Ils étaient en droit de savoir. Pour la soutenir et pour être à ses côtés à chaque pas de son traitement. Ce soir, elle avait tout fait pour agir normalement devant Jude. Et lorsque l’adolescent avait refermé la porte de sa chambre pour commencer sa nuit, la façade de la doctoresse s’était fissurée. Elle était inquiète. Dans quel état lui reviendrait-il son Cole ? Lui en voudrait-il d’avoir tenu sa langue, alors qu’ils s’étaient juré de ne plus rien se cacher ?  Elle sursauta, alors que Kovu se redressa pour déguerpir vers l’entrée de l’appartement. Elle n’avait même pas entendu les clés actionner la serrure de la porte. Alors, elle ne se fit pas prier pour se lever à son tour. Elle s’arrêta à l’orée du couloir, histoire de jauger l’humeur de son âme sœur. Elle l’observait, muette, tandis qu’il se dirigeait vers elle.  « Elle… elle a un cancer. », déclara-t-il en prononçant les mots interdits. Je sais, voulait-elle dire sans parvenir à le faire. Le poignard serait cruel et injustifié. Dans un soupir, elle se plaqua un peu plus contre lui, enroulant ses bras autour de ses épaules. Il y avait quelque chose d’urgent, de primitif dans l’étreinte qu’il lui donna et cela lui fendit le cœur. Lui qui prenait conscience de son rôle de père, rôle qui semblait l’effrayer autant qu’il voulait l’endosser. Et aujourd’hui, il se retrouvait face à une réalité qu’il n’avait pas imaginée. Une réalité qui devait être effrayante, comme si on dérobait un tapis de dessous ses pieds. « Elle ne va pas bien du tout. », continua-t-il et la britannique le serra un peu plus contre elle. « Je suis là. », souffla-t-elle à son oreille, avant de déposer un baiser dans son cou. Comment pouvait-elle effacer ses tracas ? Elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait pas, elle était simplement là pour l’aider à porter ce fardeau. « Vient. », l’entraîna-t-elle, en entrelaçant ses doigts avec les siens et en le guidant jusqu’au sofa du salon. Ils ne pouvaient pas rester planté comme des piquets dans le couloir, surtout qu’ils étaient non loin de la porte de chambre de Jude. Bien sûr, elle avait vérifié qu’il s'était endormi, mais elle trouvait que l’adolescent avait le sommeil léger ces derniers temps. Tout comme son père. Elle prit place sur l’assise du canapé, attendant qu’il ne la rejoigne pour tendre la main vers sa joue aux traits tirés par l’incompréhension. Caresse qu’elle voulait légère, rassurante. « Est-ce qu’elle t’a donné des détails concernant son traitement ? Et comment ça se passait ? », demanda-t-elle d’une voix douce, avant de se mordre la lèvre. Si elle allait mal, était-ce dû aux effets secondaires de sa chimiothérapie ou bien est-ce que la procédure ne faisait pas d’effet sur son cancer ? Elle tentait de ne pas enfiler sa blouse de médecin, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Peut-être parce que les faits l’aideraient à être plus rationnelle et moins tiraillée par les émotions vives qui lui tenaillaient les tripes en le voyant si déconfit ? Elle avait toujours eu beaucoup de mal à supporter la souffrance chez l’architecte de son cœur et aujourd’hui ne faisait pas exception. « Je suis désolé, Cole. », lâcha-t-elle, sincère. Elle était désolée d’avoir été obligée de lui cacher ce secret ou plutôt cette bombe à retardement. Elle était désolée pour la femme qui était rongée par la maladie et parce qu’elle restait une partie important de lui-même. Elle était désolée de tout ce qui en résultait. Parce que le plus dur était à venir, elle en restait persuadée. Il fallait qu’ils se préparent. Mais lui pardonnerait-il son silence ? « Est-ce que tu veux manger ou boire quelque chose ?  », proposa-t-elle, sans réelle conviction. Avaler quelque chose de chaud lui permettrait peut-être de se remettre de ses émotions, elle n’était pas sûre. En cet instant, elle attendait surtout un signe de sa part pour pouvoir continuer la conversation avec un peu plus de naturel.  

Les sens du père se sont mis en alerte lorsqu’il a vu le numéro de l’école de Jude apparaitre sur son téléphone. Il n’était pourtant pas le contact principal qu’il faut joindre s’il y a un problème avec l’adolescent et pourtant, c’est son numéro qu’ils ont composé. À cette heure-ci, Jude devrait déjà être rentré chez lui, alors il a vite compris que ce n’était pas normal. La responsable lui a indiqué que l’école aurait dû être fermée depuis dix bonnes minutes mais que personne n’était venu chercher Jude. Il n’était pour autant pas dans leurs habitudes de le laisser à la garderie après l’étude. Sa mère ne s’était pas présentée et ils ne parvenaient pas à la joindre. Cole ne s’est pas fait prier et s’est excusé auprès de ses collègues en quittant le bureau à la hâte, un rien plus tôt que ce qu’il n’avait prévu. En route vers l’école, il a tenté de joindre la mère de son fils mais les sonneries sont restées en attente. L’inquiétude a commencé à pointer le bout de son nez, et c’est lorsqu’il était à quelques rues de l’école qu’il a reçu un coup de fil n’un numéro inconnu. L’hôpital général, le plus gros de la ville. Le sang de Cole n’a fait qu’un tour. On lui a indiqué que Naomi avait été prise en charge et qu’elle avait demandé à ce qu’ils le joignent pour qu’il s’occupe de Jude. Il leur a indiqué qu’il était déjà sur le coup et a demandé plus d’informations pour pouvoir la retrouver plus tard. Après sa prise en charge en urgence, elle sera montée en chambre, mais il devra se renseigner à l’accueil. Ils ne lui ont pas indiqué exactement ce qu’elle avait. Ils ne pouvaient pas. Le Davies a grondé intérieurement et raccroché en déboulant devant l’école pour libérer le personnel qui était resté bloqué à cause d’eux. Les explications au jeune adolescent étaient confuses, sentant qu’il ne pouvait évoquer l’état de sa mère sans savoir ce qu’elle avait exactement. Alors il a simplement décidé de prendre le blâme pour lui, expliquant à son fils qu’il était bien prévu que ce soit son père qui le récupère aujourd’hui mais que ça lui était sorti de la tête. Des excuses que le gamin avait déjà entendu, il ne verrait pas le mensonge dans ses paroles, cette fois-ci.

Lorsque Jude et Naomi vivaient à New York et lui à San Francisco, Cole se sentait souvent égoïste de préférer que la configuration de leur relation soit celle-là. S’il ne devait en théorie plus rien à Naomi, il devait le monde entier à son fils. Ça ne l’a pourtant pas retenu et il a souvent trouvé la situation plus facile comme ça. Il se sentait également coupable d’aimer ne pas avoir son fils dans les pattes tous les jours et de pouvoir se concentrer sur sa carrière. Professionnellement parlant, il a évolué à grande vitesse, l’architecte. Capable de ne pas compter ses heures, n’étant pas attendu chez lui, pouvant enchainer les projets les uns après les autres, ayant le luxe de se mettre comme challenge personnel de viser toujours un cran au-dessus. Et lorsque son fils était là pour les vacances, tout était mis entre parenthèses. Il prenait ses congés au même moment, pour ne pas lui faire ressentir la pression du quotidien et pour profiter de lui, bien que profondément maladroit avec cet enfant. Un enfant aux yeux de qui son père était un exemple, un héros. Naomi le lui a souvent dit. Il n’en a pourtant pas l’étoffe, et c’est en grandissant que Jude s’en rendra compte. Cet instant, pourtant, semble être repoussé d’année en année, malgré l’esprit que le brun se forge. Et son ex, dans toute cette histoire, a fait le plus grand geste pour l’éviter, en venant s’installer à San Francisco. Depuis, il tâtonne, il essaye, il se plante, il apprend. Et ce père, qui jusque-là vivait à des milliers de kilomètres de lui, devient peu à peu réel.

Au moment où les mots sont sortis de la bouche de Naomi, au moment où elle lui a dévoilé son cancer, il a compris, Cole. Il a compris qu’il allait devoir annoncer à leur gamin que la seule personne qui a toujours veillé sur lui et lui a tout donné allait bientôt s’en aller, sans plus jamais revenir. Il a compris que Naomi n’aurait pas la force de lui annoncer sa maladie et les conséquences qu’elle entraine. Il a compris qu’elle avait tiré sur la corde et qu’il ne lui restait à présent plus que des bouts de ficelle en main, que le temps se compte en semaines, en mois peut-être mais plus en années. Il a compris que cette femme n’allait pas seulement quitter la vie de son fils, mais aussi la sienne, et qu’un bout de son histoire s’en irait avec elle. Les yeux du Davies sont remplis de larmes alors que la chaleur même du corps d’Aubrey parvient à l’apaiser. « Je suis là. » glisse-t-elle simplement à son oreille. Cole enfuit un peu plus son nez dans son cou, tout en acquiesçant légèrement. Il s’accroche à elle et à tout ce qu’elle est. Ce pilier qui sait qu’il doit tenir pour deux. « Viens. » l’emmène-t-elle avec douceur. Il essuie les quelques larmes qui lui ont échappées avec le revers de la manche de sa chemise et vient trouver une place auprès de sa belle. Il se love contre elle, ramène les pieds sur l’assise et se cale contre sa poitrine. Adulte redevenu enfant qui a besoin de quelques secondes encore pour retrouver son souffle. « Est-ce qu’elle t’a donné des détails concernant son traitement ? Et comment ça se passait ? » demande-t-elle, l’invitant à reprendre ses esprits sans se morfondre. ‘Elle est malade. Elle est malade et elle ne nous a rien dit.’ pense-t-il, une partie de lui toujours en colère contre la brune d’avoir porté ce secret en elle alors qu’il était d’une importance cruciale pour ceux qui l’entourent. L’architecte se redresse pour prendre place assis correctement. Il refait le fil de sa conversation avec Naomi et bien que chaque information soit emprunte dans son esprit, les mots ont du mal à sortir. « Ce n’est pas arrivé hier, elle était déjà malade quand elle était à New York. À vrai dire, elle avait même été en rémission. Je n’en avais aucune idée. » parvient-il à expliquer tout en se rendant compte qu’il avait absolument tout manqué. Et il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, car rares étaient les fois où il prenait de ses nouvelles, les échanges étant concentrés sur leur fils. « Elle a rechuté quelques semaines avant de décider de venir s’installer à San Francisco, et depuis, elle se bat contre son cancer du sein. » poursuit-il. Bien que la Cavendish ait été au courant, un voile sombre semble passer devant ses yeux, comme s’il lui apprenait la nouvelle. Le côté humain de cette femme l’étonnera toujours. « Je suis désolé, Cole. » glisse-t-elle. Il l’attire à nouveau à lui pour déposer un baiser sur son front. Elle n’a pas signé pour ça et pourtant, la voilà embarquée sur le même navire qu’eux. « Je… je crois qu’elle est épuisée et qu’elle veut arrêter tout ça. » révèle-t-il. À travers les explications de Naomi, il a perçu qu’elle a tout fait pour enlever tout espoir de son esprit, le forçant à regarder en face, à la regarder droit dans les yeux, des yeux fatigués qui ont absolument tout donné. Il pense aussi que la seule chose qui la retient, c’est Jude, et qu’il est l’unique raison pour laquelle elle hésite encore. Il meurt d’envie de demander à Aubrey ce qu’elle en pense, de son point de vue de médecin, de ce qu’ils peuvent construire comme argumentaire pour convaincre Naomi de poursuivre son traitement. Mais l’autre part de lui le fait taire, car il n’a pas envie de forcer cette femme. « Est-ce que tu veux manger ou boire quelque chose ? » lui propose-t-elle. La gorge du Davies est sèche, il goûte les larmes salées qui sont tombées sur ses lèvres. Il secoue la tête négativement, regard perdu sur un objet au hasard, puis revient à Aubrey, quelque peu tenté. « Tu as préparé quelque chose ? » lui demande-t-il. Non pas qu’il s’attendait à ce qu’elle l’ait fait, mais si c’était le cas, il en prendrait quelques bouchées. La discussion avec Naomi lui revient à nouveau en tête. « Qu’est-ce que je vais lui dire ? » demande-t-il, évoquant Jude, cette fois. Que ces instants sont les derniers et qu’il faut en profiter ? Mais comment est-ce qu’on profite encore alors que la mort se profile à l’horizon ? Le cœur du père se crispe un peu plus alors que son regard inquiet se tourne automatiquement en direction de la chambre du garçon.

Vaillante, c’était ce qu’elle avait toujours perçu comme trait de caractère concernant Naomi dans les dires du Davies. Et faisant face à ce cancer, continuant de s’occuper de son enfant comme si de rien n’était, elle le prouvait d’autant plus. Mentir à l’architecte avait été une tâche ardue. Parce qu’elle haïssait de le faire. Peut-être était-ce dû à un traumatisme de son enfance où son monde avait été fait de mensonges et de paraître. Devant la mine déconfite de l’homme partageant sa vie, elle tentait de garder la face. Comme elle l’avait fait devant Jude pendant toute la soirée. Chaque cellule de son corps lui hurlaient d’avouer sa faute. Pourtant, elle était bien consciente que cela n’était pas le moment de le faire. L’annonce que son ex venait de faire avait ébranlé bien des certitudes dans l’esprit de l’architecte. Elle s’en doutait. Alors, faute de paroles pour panser ses maux, la doctoresse se contenta de lui offrir ses gestes tendres, son étreinte. Elle ne put s'empêcher de l’interroger sur la partie médicale de la situation. Tout simplement  pour savoir à quel point Naomi était mal en point. « Ce n’est pas arrivé hier, elle était déjà malade quand elle était à New York. À vrai dire, elle avait même été en rémission. Je n’en avais aucune idée. », confessa-t-il après s’être redressé en position assise. Les lèvres de la jeune femme se pincèrent en une mince ligne. Il devait se flageller d’avoir tout manqué concernant la santé de Naomi, en plus d’avoir été un père absent. Et vis-à-vis de cette période, elle ne pourrait jamais totalement le rassurer. Parce qu’elle ne savait pas tout ce qu’il avait vécu, ce qu’il avait ressenti, comment il avait agi. « C’est difficile de se rendre compte d’une chose que l’autre tente de cacher à tout prix. », souffla-t-elle, tout de même en frottant le bout de ses doigts contre sa joue. Parce qu’elle ne supportait pas d’être témoin de cette blessure, voulant le protéger comme il l’avait toujours protégée. « Elle a rechuté quelques semaines avant de décider de venir s’installer à San Francisco, et depuis, elle se bat contre son cancer du sein. », continua-t-il et elle serra la mâchoire involontairement. Toujours estomaquée par le silence de la jeune mère. Parce que ce secret n’abîmerait pas seulement le myocarde de l’anglais, mais aussi de son fils. Elle pouvait comprendre cette envie de s’en sortir sans inquiéter ses proches. Mais une rechute n’était pas quelque chose à prendre à la légère. C’était un jeu dangereux qui allait brûler les ailes de tout le monde. Dans un mouvement fluide, les lèvres de son petit-ami s'emparent de son épiderme. Comme si elle était celle dans un besoin d’être réconfortée.  « Je… je crois qu’elle est épuisée et qu’elle veut arrêter tout ça. » La révélation de Cole, elle noua l’estomac de la blonde. C’était chose courante chez les patients en rechute. Ce questionnement quant à la véritable utilité d’un traitement invasif comme celui-ci. Cependant, les pensées de la Cavendish s’envolèrent vers l’adolescent endormi dans sa chambre et son cœur se fendilla. Elle ne pourrait pas se mettre à la place de Naomi, mais cela ne voulait pas dire qu’elle comprenait ses agissements, ses cachotteries ou encore son envie d’arrêter.  « Tout ça ? Son traitement ? », demanda-t-elle pour être sûre d’avoir saisi les dires de son partenaire. Tu ne peux qu’être spectatrice, tais-toi. Elle ne cessait de se répéter pour ne pas entrer de manière abrasive dans le sujet. Cette situation concernait Cole et Jude. Elle ne pouvait qu’être là pour les soutenir. Surtout qu’elle avait tenu sa langue pendant un moment sur la vérité. Les larmes perlant sur les joues de l’être aimé sont bien plus difficiles à gérer pour elle. « Tu as préparé quelque chose ? », l’interrogea-t-il après qu’elle lui ai proposé un semblant de repas. Elle hocha la tête avant de passer une main à l’arrière de nuque puis en enroulant ses doigts dans sa queue de cheval. « Des enchiladas, il y a un plat dans le four pour toi, si tu le souhaites. », confirma-t-elle avec l’esquisse d’un sourire sur ses traits et en pointant son menton en direction de la cuisine. Puis elle se pencha doucement vers lui pour déposer ses lèvres à la commissure des siennes, séchant ses larmes de la façon la plus douce qu’elle connaissait. « Qu’est-ce que je vais lui dire ? », l’interrogea-t-il en revenant à sa famille. Ses prunelles suivirent celles du père et elle poussa un soupir. « Je suppose qu’elle souhaite que tu gardes le secret ? », lâcha-t-elle dans une moue désolée. Elle se mordit la lèvre de peur d’avoir été un peu trop sèche. Même un peu jugeante dans le ton de ses mots. « Excuse-moi, c’est juste que … je trouve déjà ça dur pour toi de le découvrir, pire encore de le cacher si c’est ce qu’elle t’a demandé. Et puis, il mérite de savoir même si cela risque de le blesser comme jamais. », s’expliqua-t-elle, un peu gênée. Elle avait l’impression de s’immiscer dans un sujet qui ne lui appartenait pas. Même s’il venait juste de lui poser la question.    

La soirée est loin d’être celle que le Davies avait imaginée. Blotti dans les bras de sa douce, les dernières nouvelles glissent encore jusqu’à son esprit pour que leurs soient attribuées une valeur, une véracité. La santé de Naomi est au plus bas. Le teint de la jeune femme, il ne l’a jamais vu aussi blafard, livide. Le réconfort de Aubrey est comme une berceuse à l’oreille de l’architecte. S’il se laissait aller, il s’effondrerait de fatigue dans ses bras et ne se réveillerait que le lendemain. « C’est difficile de se rendre compte d’une chose que l’autre tente de cacher à tout prix. » tente-t-elle de le dédouaner. Cela ne fonctionne malheureusement pas sur l’anglais qui fait face à ses regrets et à la culpabilité qui prennent peu à peu de plus en plus de place. Le léger sourire se crispe alors qu’il explique à la Cavendish qu’il a le sentiment que son ex ne veut plus se battre. « Tout ça ? Son traitement ? » demande-t-elle. Elle semble surprise. Cole, lui, comprend Naomi sur ce point. « Je ne peux pas le garantir, mais il m’a semblé qu’elle était las de se battre contre la maladie et qu’elle préfèrerait arrêter son traitement, oui. » Bien qu’il ait manqué la première bataille et la rechute, rien ne sert de faire fonctionner son imagination pour se rendre compte à quel point cela a dû être éprouvant psychologiquement et physiquement. Et puis, bien sûr que sa première réaction a été de lui insuffler de l’espoir, de lui montrer qu’elle ne devait pas se laisser abattre, qu’il l’aiderait. Des utopies qu’elle a fait taire en une respiration et un regard. Elle l’a imploré, presque, de ne pas lui faire subir cela et d’accepter la situation telle qu’elle l’est. « Tu sais, il m’a semblé qu’il ne restait que des fragments d’elle et qu’elle faisait déjà tout son possible pour les maintenir ensemble. Je crois que la maladie est plus loin qu’elle n’a voulu me le dire. » Non, il ne peut pas faire l’autruche et faire comme si tout allait se régler en quelques semaines. L’état de Naomi est critique, et il faut le prendre comme il est.

« Des enchiladas, il y a un plat dans le four pour toi, si tu le souhaites. » L’évocation des enchiladas réveille les papilles de l’anglais et son estomac lui rappelle que, malgré les circonstances, il a besoin d’être rempli. Il se redresse sur ses deux jambes et avance vers la cuisine, suivi de près par la médecin. En passant près du couloir, il se rappelle la présence de son fils dans l’appartement et les explications qu’il devra lui fournir le lendemain. Il n’est pas seul, ils devront affronter cela ensemble, avec Aubrey. « Je suppose qu’elle souhaite que tu gardes le secret ? » Le regard de Cole descend vers le sol. Bien évidemment que c’est ce qu’elle a souhaité. « Excuse-moi, c’est juste que … je trouve déjà ça dur pour toi de le découvrir, pire encore de le cacher si c’est ce qu’elle t’a demandé. Et puis, il mérite de savoir même si cela risque de le blesser comme jamais. » La vigueur dans la voix de l’anglaise rassure le Davies. Il se sent épaulé et qu’elle exprime son avis ne le dérange absolument pas. Ça le rassure même de la sentir impliquée, malgré qu’elle n’ait rien choisi de tout cela. « Tu as raison. C’est ce qu’elle voulait, mais je suis parvenu à la persuader du contraire. » explique-t-il. « Le prétexte qu’il soit un enfant n’est pas une excuse pour cacher la vérité à Jude. Même si c’est difficile, je ne veux pas être celui qui lui ment à ce sujet. »  Il ne me le pardonnerait jamais. pense-t-il, sans vouloir tout ramener à lui. « Elle m’a demandé d’avoir cette discussion avec lui… je peux comprendre. » poursuit-il. Le père est cependant terrorisé à cette idée. Il n’a aucune idée des mots qui conviennent, de ceux qui ne sont pas maladroits, de ceux qui ne laissent pas trop entrevoir d’espoir sans être fatalistes. Cole secoue la tête pour tenter d’éloigner cette peur. Il ne peut pas laisser le venin se répandre dans ses veines et le paralyser. « Jude devra être préparé à aller la voir à l’hôpital. Je ne sais pas quand elle en sortira. » dans moins d’une semaine, il espère. « J’espère qu’il nous pardonnera de ne rien lui avoir dit plus tôt. » exprime-t-il enfin, la gorge sèche. Ce qu’il espère surtout, c’est que Jude ne soit pas composé des mêmes démons que son père et que cette annonce ne réveillera pas en lui un monstre qu’il ne parviendra à apaiser. À l’instar d’une pieuvre qui vous serre la gorge avec ses tentacules et vous rend prisonnier de son emprise. Une sueur froide s’écoule dans son dos à cette idée. Il revient à Aubrey, déposant une assiette sur l’îlot central alors qu’elle sort le plat d’enchiladas du four. « Quand est-ce que tu l’as croisée pour la première fois ? Est-ce que tu as eu l’impression que son état avait empiré jusqu’à récemment ? » demande-t-il en prenant place sur une chaise haute. Il ne sait pas si elles se sont souvent croisées ou non. Il ne sait même pas si les deux femmes ont eu une discussion à ce sujet et ce qu’elles se sont dit. Mais il a besoin de son avis, de savoir s’il a raison de ne pas se focaliser sur un rétablissement ou s’il ferait mieux de se bouger pour redonner de la vigueur à Naomi. Car l’entourage peut jouer aussi, n’est-ce pas, et un bon moral a beaucoup à faire lorsque l’on se bat contre une maladie.

La situation était complexe. L’âme de la doctoresse était scindée en deux. Une part d’elle-même voulait lui avouer la vérité. L’autre souhaitait garder le silence. Parce qu’elle avait peur de la réaction de l’être aimé. Il s’agissait là d’une femme qu’il avait aimé, qui avait partagé un bout de sa vie et qui lui avait donné son fils. Ce n’était pas une relation éphémère, mais qui avait bel et bien marqué son existence. Quand bien même Naomi lui avait demandé de garder le silence sur sa maladie et que par conséquent, elle n’était pas seule à blâmer, elle sentait qu’il lui en voudrait. Elle l’avait trahi en quelque sorte et la culpabilité était cuisante. Pire encore depuis que les paroles de Cole tintaient dans ses oreilles. La mère souhaitait abandonner le combat. Amertume se répandant dans sa bouche, elle ne peut s’empêcher de répéter la chose, sous forme de question, pour être certaine d’avoir bien compris. « Je ne peux pas le garantir, mais il m’a semblé qu’elle était las de se battre contre la maladie et qu’elle préfèrerait arrêter son traitement, oui. » Une boule se forma lentement dans la gorge de la jeune femme. Elle s’était fourvoyée. Persuadée que la New-Yorkaise était en plein traitement pour battre son cancer, quoi qu’il en coûtait. Pour être auprès de son fils. Au lieu de cela, elle n’avait jamais mentionné son intention de baisser les bras. Et Aubrey lui avait permis de prolonger son mensonge. Elle avait l’impression de sentir son visage se vider de son sang. Livide, elle pinça ses lèvres en tentant de calmer les battements désordonnés de son palpitant. Elle hocha la tête pour lui montrer qu’elle l’avait bien entendu, toujours abasourdie par la réalisation qu’elle venait de faire. « Tu sais, il m’a semblé qu’il ne restait que des fragments d’elle et qu’elle faisait déjà tout son possible pour les maintenir ensemble. Je crois que la maladie est plus loin qu’elle n’a voulu me le dire. », continua-t-il en expliquant un peu plus la situation. Dans un soupir, elle percha sa joue sur l’épaule de l’architecte.  « Je ne sais pas quoi dire. », souffla-t-elle, à court de mots. Elle entendait ce qu’il disait, mais le sang pompant dans ses tempes l’empêchait de penser correctement. Comme si elle avait été trahie, quelque part. Pourtant, elle ne connaissait pas cette femme plus que cela. Elles s’étaient croisées à plusieurs reprises, mais elles n’avaient pas eu l’occasion de partager une véritable conversation. Sauf lorsqu’elles s’étaient vues à l'hôpital et que la blonde avait découvert le pot-aux-roses. Et cette dernière n’avait pas été des plus agréables.

Aller dans la cuisine fut une distraction bienvenue et elle permit à la Cavendish de se concentrer sur autre chose, pour un temps au moins. Bien qu’elle continue de le questionner sur sa conversation avec Naomi. « Tu as raison. C’est ce qu’elle voulait, mais je suis parvenu à la persuader du contraire. », dit-il et la britannique expira de soulagement. Même si elle se serait intimé de respecter ce qui aurait été demandé, elle aurait été incapable de le supporter sans devenir folle. « Le prétexte qu’il soit un enfant n’est pas une excuse pour cacher la vérité à Jude. Même si c’est difficile, je ne veux pas être celui qui lui ment à ce sujet. » Nouveau hochement de tête. Jude souhaitait plus que tout, faire confiance à son père et savoir qu’il serait toujours là, auprès de lui. Si Cole taisait la vérité, l’adolescent se refermerait comme une huître maudissant ses parents pour leurs mensonges. « Elle m’a demandé d’avoir cette discussion avec lui… je peux comprendre. » La blonde fronça les sourcils. « La discussion pour lui annoncer son cancer ? », interrogea-t-elle, même si inconsciemment, elle savait qu’il s’agissait bien de celle-ci. Son cœur se brisa pour l’homme en face d’elle. Il semblait avoir le monde à porter sur ses épaules. Personne n’était à l’aise dans ce genre de situation, mais elle imaginait que c’était pire encore pour le Davies qui parvenait enfin à se percevoir comme un père capable. Elle se rapproche de lui pour saisir sa main entre ses doigts.  « Je serais là, si tu le souhaites. Il n’y a jamais de bonnes façons pour l’annoncer, fais-le avec le cœur. », chuchote-t-elle en portant sa seconde main sur la poitrine de l’homme qui partageait sa vie. Malgré son métier de médecin, annoncer des nouvelles comme celle-ci à ses patients n’était jamais devenu facile. Il lui fallait toujours un temps pour se remettre de la peine se frayant un chemin sur leur trait, des suppliques ou même des larmes versées. Il lui arrivait d’en verser aussi. « Jude devra être préparé à aller la voir à l’hôpital. Je ne sais pas quand elle en sortira. » Il était certain que le garçon allait demander à voir sa mère. Eux qui étaient si proches. Elle espérait que la jeune femme en sortirait. Qu’elle aurait la force d’en sortir sans ses traitements. « J’espère qu’il nous pardonnera de ne rien lui avoir dit plus tôt. » Elle ne peut le retenir tandis qu’il se détourne pour aller chercher une assiette. J’espère que tu me pardonneras mon silence.  Elle alla chercher le plat encore chaud au creux du four. « Quand est-ce que tu l’as croisée pour la première fois ? Est-ce que tu as eu l’impression que son état avait empiré jusqu’à récemment ? », lui demanda-t-il et elle sentit un poids fantôme sur sa poitrine. Elle plongea la spatule dans le plat, alors qu’il prenait place sur la chaise. Histoire de gagner du temps. Elle le servit en évitant de le regarder dans les yeux. « Tu veux dire quand est-ce que je l’ai rencontrée pour la première fois ? », répondit-elle en feignant une innocence qui l’aurait fait vomir.