Face à la devanture du magasin, il se questionne le Fitzgerald. S’il n’est pas triste pour le moins du monde que ce type d’endroit fonctionne encore, comment cela se peut-il ? Avec quoi peuvent-ils vivre alors que la plus grande majorité de la population ne sait même plus faire la différence entre un 33 tours et un 45. S’il a évolué avec les générations actuelles, il est un homme de la vieille époque Jack. Vibrant sur les dissonances de la musique marquées par les stries du disque. Comme l’adolescent qu’il fut un jour, à la recherche de la meilleure musique pour les oreilles de celle qu’il voulait avoir à ses côtés à tout jamais, il entre dans la boutique, sourire aux lèvres et jovial. « Bonjour. » Marquant les bonnes manières, comme il l’a toujours fait, il porte ce sourire qui ne le lâche jamais et bien particulièrement pour cette boutique le même costume qu’il porte au travail. Des minutes durant, il se perd le garçon de l’Alabama, il se noie dans les titres qu’il connait à la perfection et ceux qu’il pourrait découvrir. Il sourit face à des vinyles datant de sa tendre enfance, lorsque les tons d’Elvis retentissaient dans les couloirs de la maison de ses grands-parents, ou bien la voix de Nat King Cole annonçant le retour de son père. C’est pourtant lorsqu’il tombe sur le bac de ses années qu’il se perd dans d’infinis souvenirs. Il n’est pas de ce genre Jack, lui l’homme au présent fou, il profite toujours de l’instant présent, mais il se souvient de ces années comme d’hier. Les longues soirées d’été à Fairhope, trop souvent accompagnées de fumées délirantes puis ce regard qu’il avait croisé. Un été a élaboré des nouvelles connaissances musicales et artistiques avec l’apport inestimable de la jolie Lennox-Baxter. C’est sur la jacket des Raspberries qu’il s’arrête quelques secondes retrouvant la fameuse ‘Go All The Way’ dans un sourire rêveur. Alors qu’il s’aventure vers des idées qui l’amusent, c’est la voix du vendeur qui vient le sortir de là. Plusieurs fois qu’il vient ici et toujours le même jeune homme aux commandes. Cette fois, il a l’air perdu dans des explications au téléphone concernant une histoire à coucher dehors. Il ne comprend pas tout et à vrai dire, cela ne le regarde pas Jack. Toutefois, curiosité mal placée, il ne peut s’empêcher d’écouter les propos de ce garçon paraissant tourmenté par une histoire de cœur. Ces histoires, il en connait un rayon le CEO. S’il n’a aimé qu’une seule femme dans toute sa vie, véritablement aimé, il a eu des relations plus ou moins importantes, plus ou moins intenses. Il a appris à connaitre le cœur humain. S’il a pu faire du mal à sa manière, il n’a jamais tenté de détruire une personne amoureuse de lui. Toujours propre dans ses affaires ou presque… il sait souvent ce qu’il ne faut pas faire. Fouillant légèrement dans les bacs alors que la conversation continue, la voix du vendeur oscillant en fonction de ce qu’il dit et de son degré d’attention à son travail ou sa vie privée qu’il raconte. Il sourit en trouvant le disque de son choix. Si dans sa main droite se trouve toujours son premier choix, c’est le fameux album de Leo Sayer avec la chanson intitulée ‘When I Need You’ qu’il sort venant le placer sur le comptoir alors que le jeune homme raccroche. « Elle vous paraitra un peu vieillotte peut-être, mais je pense qu’elle peut vous parler. » Il est grand, il porte même sa richesse, mais il est humain plus que n’importe qui peut être même le Fitzgerald. Fixant le jeune homme, il veut s’assurer qu’il ira bien parce qu’il le sait, que des histoires de cœur peuvent vous faire faire l’impossible, l’impensable même. Ne sachant pourquoi, il ne le souhaite pas. Peut-être égoïstement parce que sans lui, ce magasin n’aura plus lieu, mais surtout sentimental parce qu’il ne supporte pas les histoires d’amours qui se finissent mal Jack et la sienne est la preuve que rien, absolument rien est impossible pour celui qui y croit…

C’est toujours la même rengaine ; de ses attentes à ses espoirs vains, Livio souffre. Ça ne devrait pas faire mal, l’Amour. Ça ne devrait pas être aussi compliqué. Pourtant, il ne se passe pas une seule semaine sans que lui & son amant se fâchent. Ça le fatigue, Livio. Il voudrait que le bonheur dans son entièreté frappe enfin à sa porte, que son histoire d’amour devienne facile, que les obstacles s’évaporent.
Il voudrait aimer & être aimé sans condition.
Mais c’est impossible.

Profitant d’un moment d’accalmie, le brun disparaît dans l’arrière-boutique & s’empare de son téléphone. Sans réfléchir au décalage horaire qui s’étire entre San Francisco & Londres, il compose le numéro de son grand frère. Avant son départ, ce dernier lui a fait promettre de le joindre à n’importe quelle heure du jour & de la nuit en cas de pépin. Eh bien voilà, Livio éprouve maintenant le besoin urgent d’entendre une voix familière & de s’épancher sur ses tourments qui n’en finissent plus. Il raconte sa douleur, évoque ses espoirs, explique les disputes, confie les réconciliations, confesse ce qu’il ressent,…& Shiloh l’écoute avec toute la patience dont il dispose. & puis naturellement, suivent des conseils. Des conseils dont l’Anglais se serait bien passé. Que croyait-il, néanmoins ? Que son frère allait le ménager & lui dire ce qu’il avait envie d’entendre ? Agacé par moment, Livio s’emporte.
Ce n’est ni le lieu ni l’endroit, cependant. Un client est entré dans la boutique sans qu’il ne se rende compte & ça, ça ne lui ressemble pas. Livio remercie son frère & raccroche, avant de passer une main tremblante dans ses boucles brunes.

Son client zigzague à travers les rayonnages, jette quelques coups d’œil au vinyle avec ce sourire peint sur les lèvres. Certains titres semblent le prolonger dans une époque révolue, là où ses souvenirs semblent agréables. La bouche entrouverte, prêt à l’interroger & entamer la discussion, Livio est devancé. L’homme s’approche du comptoir. & au bout de ses doigts apparaît l’album de Leo Sayer. Livio esquisse un léger sourire, à mi-chemin entre la gêne & la reddition.

- Vous avez tout entendu, c’est ça ? soupire-t-il. Je suis désolé. Ce n’est pas dans mes habitudes de passer mes appels personnels pendant mes heures de travail.

Livio s’empare de la pochette du vinyle & se mordille la lèvre. Il a encore en tête les mots de son amant, ceux de son frère, & tout s’emmêle. « Ça ne sera jamais autrement, il faut que tu t’y fasses » , « Je n’ai pas à te dire ce que tu dois faire ou non, mais votre relation n’a pas l’air très saine. »

- C’est juste que… Bref, merci pour… ça, dit-il en jetant un œil à la pochette de l’album. « Miles and miles of empty space in between us. », imite-t-il, avec un sourire triste.

Livio relève le menton, & s’efforce de troquer la lueur mélancolique de son regard contre l’éclat jovial habituel. Ce n’est pas lui, cet homme abattu & dépité. Ça ne lui ressemble pas.
Lui, il est le soleil. Il est l’optimisme. Il est l’éclat d’une pièce sombre. Il est l’unique étoile d’un ciel noir. Il doit se reprendre. & régler ses problèmes plus tard.

- Je peux faire quelque chose pour vous ? Vous avez trouvé votre bonheur ?, demande-t-il en jetant un œil à la pochette des Raspberries.

Mal à l’aise, gêné et peut-être dérangé de voir qu’un client est présent, le jeune vendeur n’a pas l’air de savoir où se mettre et cela le fait doucement sourire le chef d’entreprise. Il connaissait les faux-semblants, les avait vécus toute sa vie et en riait facilement aujourd’hui pouvant les mimer aussi bien qu’en jouer. Il était maître dans un art qu’il détestait pourtant. Il se fait discret et pourtant, extrêmement intrusif le vieil homme. Ramenant un disque reflétant la conversation qu’il vient d’écouter sans y être invité. «  Vous avez tout entendu, c’est ça ? Je suis désolé. Ce n’est pas dans mes habitudes de passer mes appels personnels pendant mes heures de travail. » Il rit doucement le Fitzgerald, amusé de la situation. Est-ce que ce garçon est-il véritablement en train de s’excuser parce qu’un inconnu a entendu et même écouté sa conversation en se permettant en plus, de venir le faire remarquer avec un coup de pouce à sa manière ? Il fait non de la tête en souriant, le regard agréable et détendu, Jack, tandis que le brun vient, timidement agripper la pochette du disque. « Oui j’ai entendu, mais par pitié, ne vous excusez pas pour cela et prenez cette habitude, quand est-ce que nous avons le temps de passer ce genre de coup de fil autrement ? » L’avantage même était qu’il pouvait ainsi facilement couper court à la discussion en prétextant l’entrée d’une personne. « La vie est trop précieuse pour se prendre la tête ailleurs qu’au travail, vous ne croyez pas ? » Il fait vieux fou ou vieux sage, mais en réalité, il n’en a rien à faire. S’il peut gagner des milliers en s’occupant de ses problèmes de famille pendant son travail, pourquoi ce garçon qui doit simplement gagner le minimum ne pourrait pas le faire ? L’injustice serait vraiment ironique. Pourtant, ce garçon a l’air sérieux et ses pensées divaguent, encore, probablement vers les problématiques qu’éprouvent autant son cœur que son âme. « C’est juste que… Bref, merci pour… ça » Il plisse le regard l’homme de l’Alabama. Juste que ? Pourtant, il sourit au chant discret du vendeur. Il la connait, rien est donc perdu pour ce jeune homme, absolument rien. Dans un geste presque théâtrale, il relève la tête et vient y habiller un sourire si faux qu’il pourrait entrer dans un cirque pour ce tour. Il se force, comme s’il avait l’obligation d’aller bien, comme si ce devoir lui revenait sans quoi tout s’effondrerait. « Je peux faire quelque chose pour vous ? Vous avez trouvé votre bonheur ? » Il inspire le CEO regardant longuement la pochette de l’album qu’il avait trouvé. « J’ai trouvé. Et pour tout vous dire, cela m’a pris 50 ans. » Risible de se livrer ainsi ? Et pourtant, il ne sait pourquoi mais se doute que cela pourrait aider le garçon face à lui. « Cette chanson est sortie l’été où j’ai rencontré l’amour de ma vie. 1972, - oui, je suis si vieux que cela – et nous l’avons écouté bien plus d’une fois cet été là. » Il sourit, dans ce souvenir, ces souvenirs qui jaillissent en même temps qu’il conte son histoire. « Puis elle est partie, je l’ai cherché mais les réseaux n’étaient pas les mêmes à cette époque. Je l’ai perdu, j’ai même dû accepter de devenir père et faire un métier que je ne souhaitais pas faire. Chacun, on s’est construit une vie. La sienne, plus stable que la mienne à ce qu’il parait, mais jamais je n’ai cessé de l’aimer, jamais je n’ai véritablement abandonné, même le jour où 28 ans plus tard, elle m’a repoussé, parce qu’elle ne pouvait être avec moi. » Pas par un club ou métier qui l’en empêché mais bien parce qu’elle était heureuse en mariage et souhaitait repousser tout le reste, Sophie. « Je l’ai retrouvé il y a deux ans, et depuis quelques mois, je peux enfin la prendre par la main en public. » Il marque une pause, ne sachant pas si annoncer au garçon qu’il devra attendre 50 ans pour être heureux est véritablement une bonne chose. « Mais je suis le plus heureux des hommes et même la savoir heureuse avant, même sans moi, cela me suffisait, malgré le cœur meurtri. » Il est doux et serein dans ses paroles, véritable. « C’est juste que quoi ? La vie vous complique la tâche et n’est pas assez gentille pour vous laisser couler le parfait amour avec votre moitié aujourd’hui ? Ou il ne vous aime pas ? » Sans savoir pourquoi, il souhaitant que les choses s’améliorent pour lui. Il avait véritablement ce souhait et ne pouvait faire autrement. « Enfin, vous n’êtes pas obligé de me répondre, je ne suis qu’un vieux client qui radote et finira par tout oublier demain matin en profitant de sa propre vie… » Il cherche, il creuse et il sait qu’il trouvera, sans savoir pourquoi, ou peut-être que si. L’expérience et surtout ce truc qu’il a toujours su faire lorsqu’il s’agit de conversation sur l’amour alors que lui-même avait échoué ses trois mariages, pensant toujours à une seule et même femme.

Depuis toujours, Livio accueille toutes ses émotions avec bienveillance ; qu’il s’agisse d’amour, de colère, de douleur, de chagrin,… Chaque sensation peut aisément s’infiltrer dans chacune de ses cellules ; l’Anglais ne cherche jamais à lutter. En revanche, il n’oublie jamais de leur donner la parole. Il n’oublie jamais d’avouer ses sentiments, de cracher sa colère, sa rancoeur, son amertume. Il n’oublie jamais de pleurer si nécessaire.
Le fait, toutefois, qu’un inconnu n’ait rien raté de sa conversation trouble sa sérénité d’esprit. Au mieux, Livio est passé pour un amoureux transi au cœur brisé ; au pire, il est passé pour un sale gosse impoli. Pas que son image l’importe tant que ça, au contraire. Mais son employeur risque de lui voler dans les plumes si ce genre de choses en venait à se reproduire régulièrement - ce que lui conseille d’ailleurs cet homme. Un sourire, léger mais sincère, étire les lèvres de Livio. Ce n’est pas commun, d’entendre des mots aussi sages. Mais ça lui plaît beaucoup. Ça lui rappelle son père. Son père est ce grand homme, toujours optimiste & doté d’une tolérance extrême.

- La vie est précieuse, je vous l’accorde, répond-t-il. J’espère juste ne pas vous avoir paru impoli. Je ne suis même pas sûr de voir avoir salué. Alors, bonjour, ajoute-t-il, innocemment.

&, même si son geste ne trompe personne, Livio relève le menton & s’efforce de reprendre contenance, d’oublier Newton l’espace de quelques minutes. Prenant appui sur ses connaissances musicales, le disquaire propose son aide, mais l’homme lui apporte une réponse qui le déconcerte. Cinquante ans ? Livio penche la tête, arque un sourcil. Naïvement, il pense que le client se plaint du rangement & du temps qu’il lui a fallu pour trouver son vinyle. Puis naturellement, les mots, les confidences se superposent, prennent un sens différent & racontent une histoire que le jeune homme aurait pu écouter & découvrir pendant des heures. Sans s’en rendre compte, d’ailleurs, Livio s’est assis derrière le comptoir de la caisse & a posé son menton dans le creux de sa paume. Son regard émeraude verrouillé au sien, il écoute ce client venu d’un autre monde lui livrer une infime partie de sa vie, plus facilement que Newton ne l’a jamais fait.

Sans transition, l’homme l’interroge. Ça le prend au dépourvu, Livio, au début.
Qui sait s’il peut lui faire confiance ?
Qui est-il, d’ailleurs, ce client mystère ?
Se pourrait-il qu’il soit en contact avec les Hells Angels ?
Tant de questions se bousculent dans son esprit envahi par la paranoïa. Hésitant, le disquaire baisse un peu les yeux, fait voltiger un stylo entre ses doigts, & sélectionne des mots qui ne le mettront (à priori) pas en danger.

- Oh, si! Il est amoureux de moi, dit-il, avec le nez plissé d’un enfant contrarié. Seulement, il… sa famille n’est pas d’accord avec ça. Du coup, on doit s’aimer dans l’ombre.

Livio exhale un soupir, & se relève de son siège. L’homme voudra peut-être en savoir davantage, en attendant, Livio aussi crève d’envie d’assouvir sa curiosité. Peut-il néanmoins se permettre autant de familiarité ? Il y a cette différence d’âge, & le respect que le brun sait lui devoir. Pourtant, c’est plus fort que lui. Après s’être mordillé la lèvre inférieure, Livio se jette à l’eau.

- Pourquoi est-ce qu’elle est partie ? ose-t-il demander. &, comment vous avez tenu tout ce temps sans elle ? Vous avez été privé de la femme de votre vie si longtemps, c’est terrible. C’est injuste.  

La force ainsi que le courage de cet homme l’impressionnent. Passer autant de temps avec la moitié d’un cœur, la moitié d’une âme, ça fatigue, ça éreinte. Même si l’être humain est supposé se relever de chaque épreuve, il reste intimement persuadé qu’il en crèverait, si son amoureux disparaissait pendant cinq longues décennies.

- Je m’appelle Livio, dit-il, en lui tendant la main.

Il aime ce genre d’instant Jack. Des moments volés dans une vie qui peuvent aussi bien se transformer en simples souvenirs ou en quelque chose de précieux et imprévu, comme en relation improbable. Il le sait, il en a vécu plusieurs le CEO. Lui qui, facilement, aborde les personnes, sans curiosité mal placée, simplement pour apprendre, découvrir et toujours ressortir plus grand d’un temps partagé avec l’inconnu, un temps à voir l’humain dans ses pires comme ses meilleurs moments. Lui, l’amoureux des étoiles, les cherchant à la loupe parmi les êtres peuplant cette terre. Voisins, amis, lointain, étrangers, famille, employés, il n’a que faire des étiquettes, tant que la personne répond, tant que l’âme vibre et que jamais les relations ne cessent. Et ce garçon face à lui, perdu et en même temps si droit dans ses baskets, il le fait sourire. Loin de la moquerie, c’est l’attention et la tendresse qui arrivent en tête, c’est aussi cette envie qu’il trouve un sourire plus beau, une envie et la rage de réussir, la force d’aimer même l’impossible, mettant en œuvre tous les possibles pour arriver à ses fins, tant que les sentiments sont partagés. Parce qu’un amour perdu est douleur, atrocement, il le sait que trop bien le Fitzgerald. Alors quand les lippes du jeune s’étirent dans un rictus tendre, il est heureux Jack, parce qu’au moins, il aura réussi à apporter cela dans la journée de ce garçon. « La vie est précieuse, je vous l’accorde. J’espère juste ne pas vous avoir paru impoli. Je ne suis même pas sûr de voir avoir salué. Alors, bonjour.» Il rit Jack, amusé de cette politesse incroyable qu’il tente de maintenir le jeune. « Bonjour. » Il se reconnait presque dans la gestuel, l’apparence à tenir, loin pourtant de la personnalité mère, les gestes de bienséances et de société, la discussion alors qu’il ne doit souhaiter que de retourner à sa conversation et même peut-être simplement aller trouver du réconfort quelque part. Simplement, il débute sa propre histoire le vieil homme. Sortant de nulle part, il aime mettre son grain de sel de cette manière, comme si cela pouvait changer quelque chose. Peut-être que parfois un point de vue, un angle nouveau peut aider, et chaque geste d’inconnu compte alors. L’histoire emporte le disquaire jusqu’à ce que Jack lui donne le micro de la parole, le questionnant. Parce qu’il ne se livrerait pas ainsi juste pour la joie de parler de sa personne, non. C’est avec un objectif précis qu’il avait expliqué sa propre relation, la plus forte et pourtant la plus complexe qu’il n’ait eu. « Oh, si! Il est amoureux de moi. Seulement, il… sa famille n’est pas d’accord avec ça. Du coup, on doit s’aimer dans l’ombre. » Les amours cachés, les mensonges et les façades. Il n’avait jamais compris comment il était possible d’évoluer dans ce monde, et encore moins au vingt et unième siècle La famille n’a pas besoin d’être d’accord. Il avait laissé son père dictait sa vie à l’époque et s’il était heureux d’avoir eu ses enfants, il sait que ce n’était pas son choix premier, pas avec leur mère. Parce que le mariage qu’il a eu, n’était pas d’un amour sincère, mais fait d’obligation et de morale déprimante. « Je vois donc le côté nul de cette relation, mais à quel point sa famille peut avoir un mot à dire ? Ils ne pourront ni vous changez vous, ou lui, alors à quoi bon ? S’ils l’aiment ils accepteront et autrement, il est préférable pour lui de s’échapper de cela, non ? » Parce que les liens du sang sont éternels mais les relations avec eux ne sont pas obligatoire, pas si ces personnes vous trainent vers le bas et dans un sens qui n’est pas votre volonté. Il se détesterait de faire vivre cette situation à ses propres enfants, comment quelqu’un peut être capable de détruire son proche au point de refuser qu’il aime quelqu’un ? Se levant, il a l’air curieux également le garçon, hésitant, il finit par questionner, d’abord par le regard puis par la parole, amusant légèrement l’ainé. « Pourquoi est-ce qu’elle est partie ? Et, comment vous avez tenu tout ce temps sans elle ? Vous avez été privé de la femme de votre vie si longtemps, c’est terrible. C’est injuste. » Il sourit Jack, parce qu’il se reconnaitrait presque dans les propos et en même temps, il avait appris, il savait maintenant que ce n’était pas injuste, et même qu’il était fortement coupable dans cette histoire. « Elle est partie parce que les vacances étaient terminées et qu’elle habitait ici et moi dans l’Alabama. Et j’ai tenu en me disant que je devais vivre de la manière où elle serait tout de même heureuse d’être aimée par moi et en la sachant heureuse ailleurs. Je n’ai pas véritablement tenu, j’ai tenté de m’en sortir, mais après trois mariages, je me suis résigné, sachant qu’elle serait toujours l’unique, parce que deux mois avec elle, même tant de temps plus tôt, n’avaient jamais pu être remplacé par n’importe qui d’autres. » Il sourit légèrement, parce que Sophie avait sincèrement été un coup de foudre, l’amour de sa vie, la seule et l’unique à détenir son cœur pour toujours, sans que jamais il ne puisse faire autrement, même loin d’elle, même des décennies plus tard. « On fait avec, et surtout, on trouve la force de vouloir changer les choses. J’ai subi la suite, j’ai subi justement le désir de ma famille, me disant que je devais être avec la femme portant mon enfant et que ma vie devait donc se faire par ce point. Puis j’ai compris que j’étais l’unique maitre de ma vie, et que je devais changer ma façon de faire si je souhaitais être heureux, ma façon de voir les choses, et agir pour faire en sorte de l’être sincèrement. J’ai pris les choses en main et me voilà à acheter comme un jeune premier un disque pour rappeler de beaux souvenirs à la femme que j’aime. » Il se trouve niais et il assume cette partie de lui Jack. Parce que Sophie est la seule et l’unique et qu’il pourrait tout faire pour que son sourire et son bonheur soient présent à jamais. Usant du passé, du présent comme de l’avenir, pour à jamais détenir égoïstement son cœur, même si à présent, le temps leur est plus limité. « Je m’appelle Livio. » La main du garçon se tend et il vient la prendre, dans un geste amical et rassurant. « Enchanté Livio, je suis Jack. Et je promets que je ne suis pas qu’un vieux qui conte son histoire d’amour, je peux aussi être fun, même si j’en ai pas l’air. »  Il adresse un clin d’œil à Livio, s’amusant, il ne sait pourquoi et par quelle magie avec ce jeune qui doit bien avoir plus de trente ans de moins que lui.

Les paroles de cet homme ont cette aura enchanteresse. Elles s’enroulent comme un baume autour du cœur tourmenté de Livio. Elles l’enveloppent tout entier & y diffusent un parfum d’espoir. L’Amour, tant qu’il est sincère & programmé par le destin, l’emportera toujours. Peu importent les obstacles & les difficultés. Peu importent le regard des autres & les coups de crasse de la vie. Pour autant, le disquaire n’est pas certain de vouloir attendre des années pour vivre son histoire. Patienter & se battre au quotidien sont deux choses qu’il est parfaitement capable de faire, & il le fera jusqu’à son dernier souffle tant que ça lui permet d’étreindre Newton à la fin de la journée. En revanche, tirer un trait sur son amoureux le temps que les choses se tassent -si tant est qu’elles se tassent un jour-, c’est inenvisageable.
D’une voix aussi affirmée que délicate, Livio lui explique. Il lui explique que tous les deux s’aiment du profond de leur âme, mais que les circonstances sont compliquées. Qu’autour d’eux gravitent des personnes qui n’approuvent pas leur relation. & les mots que l’homme lui adresse portent en eux une évidence implacable : n’est-il pas préférable qu’ils s’échappent de cette emprise malsaine ? Bien sûr que si. Si seulement c’était si simple.

- Ce sont... ce sont des gens puissants. Des gens qui peuvent facilement le briser. & qui peuvent me briser moi aussi, souffle-t-il. Vous comprenez ? Ils le tiennent comme ça : en me menaçant.

Depuis le temps qu'il fréquente son copain, Livio s'est accommodé aux menaces qui planent au-dessus de sa tête. Non, le plus difficile, c'est de ne pas pouvoir entremêler ses doigts aux siens dans la rue, de ne pas se réveiller à ses côtés chaque matin, & de ne pas être libre de l'aimer, tout simplement.
Livio tente toutefois de relativiser. Si la frustration empoisonne chacun des battements de son cœur, qu'en est-il de cet homme, qui a été contraint de vivre sans la femme de sa vie pendant d'aussi longues années ? Comment, où, a-t-il trouver la patience de l'attendre ? de vivre sans elle ? Peu avare de paroles, l'inconnu ne rechigne pas devant ses questions pourtant indiscrètes. & il y répond d'ailleurs avec une précision à laquelle le disquaire ne s'attendait pas.

- Je ne sais pas si vous êtes un surhomme ou si vous êtes tout simplement plus fort que je ne le serai jamais mais en tout cas, je vous admire. Sincèrement.

Plutôt que de devoir accrocher ses atomes à ceux d'une autre personne, Livio préfèrerait mourir.
& là, tout de suite, il a quelques relents de rancœur qui remonte le long de sa gorge. La vie peut-être si injuste avec les gens qui s'aiment. Sans cesse mis à l'épreuve, les âmes destinées doivent se battre sans relâche pour parvenir à s'étreindre au bout du chemin. Cet homme ne s'est jamais arrêté. Pendant de longues décennies, il a surmonté les obstacles. Il a accepté d'embrasser d'autres lèvres, il a accepté d'effleurer d'autres corps. Jusqu'à ce qu'elle apparaisse enfin, en bout de parcours, la femme de sa vie. Leur histoire est aussi belle que tragique.
Livio passe ses paumes sur son visage, roule des épaules tandis qu'il se redresse, & se présente enfin dans les règles. Jack lui serre la main, assurant qu'il n'est pas que cet homme enthousiaste à l'idée de raconter son amour pour celle qu'il aime. Un sourire anime les lèvres du plus jeune.

- Enchanté, Jack, dit-il en croisant ses bras contre son torse. Eh bien, l'âge, c'est dans la tête. Je ne doute pas que vous soyez très amusant.

Le brun esquisse un léger sourire & contourne la platine vinyle pour changer de disque. Il dépose celui que Jack lui a présenté à son arrivée : When I need you, & glisse le bras de lecture sur la surface lisse. Les premières notes s’échappent.

- Alors dites-moi, qu'est-ce que vous faites de fun quand vous ne racontez pas votre histoire d'amour ? demande-t-il, réellement curieux.

Alors que la vie lui avait intimement demandé de ne jamais y croire, il n’avait jamais cessé de le faire le Fitzgerald. Pour lui, l’amour était l’ultime sentiment, celui qui gagnerait envers et contre tout. S’il lui avait fait vivre bien des évènements, encore récemment, il peut maintenant le crier haut et fort. Quoi que l’on fasse, il suffit de le ressentir pour que l’amour nous guide au bon moment, au bon endroit et nous fasse oublier tous les ressentis d’avant. Il en avait eu la preuve bien des fois auprès de Sophie et aujourd’hui, il avait l’impression d’avoir 18 ans à nouveau, heureux comme un jeune premier dans les bras de la femme qui illumine ses journées. Il pourrait se sentir bête à raconter tout cela à un jeune homme qu’il ne connait pas, mais non, il n’en ressent même aucune gêne, voit même son histoire comme une opportunité pour le vendeur qui doit s’accrocher si ce qu’il ressent est véritable pour son ami. Rien ni personne ne pourra leur faire vivre l’inverse, bien au contraire. A la différence de son histoire à lui, le jeune Livio a les technologie d’aujourd’hui, n’a pas mis enceinte son ex-petite amie et son père n’a pas l’air de vouloir de lui qu’il gère la lignée de la famille sans autre possible. Pourtant, il explique, il tente de montrer ses propres problématiques sans en dire de trop le jeune homme, comme s’il se méfiait de tout ce qui l’entourait. Il est amoureux, cela, il n’y a pas de doute, mais qui est cette famille pour qu’il en ait si peur ? « Ce sont... ce sont des gens puissants. Des gens qui peuvent facilement le briser. & qui peuvent me briser moi aussi. Vous comprenez ? Ils le tiennent comme ça : en me menaçant. » Il fronce les sourcils Jack, parce qu’il n’arrive pas à comprendre comment cela peut arriver. Comment une famille peut-elle faire cela à son enfant ? Qui peut être cette famille ? Il repense à cette enfant perdue de Sophie, élevée par une famille qui pourrait faire la même chose, qui l’a fait d’ailleurs, la forçant dans un mariage qu’elle refusait. Est-ce que le jeune disquaire est mêlé à ce type de personnes ? Il ne devrait même pas s’en inquiéter le millionnaire et pourtant, cela l’intrigue, l’inquiète même, pour le bien être de ce garçon avec qui il ressent un lien sans même le connaitre. Il ne sait pas s’il comprend le tout des propos du jeune mais une question continue de lui brûler les lèvres. « Et ils te menacent véritablement ? En voulant attaquer ta vie ? » Que ce soit en terme vitale ou bien en abîmant son quotidien, car une vie peut être détruite de bien des manières et il souhaiterait que l’âme de ce garçon reste comme telle, prête à écouter des inconnus lui livrer des messages et parlant de son cœur ouvertement, sans aucune peur, sans honte, il aime cela le Fitzgerald et ne souhaite pas le voir se faner. Alors qu’ils tournent sur sa propre histoire, filant par la curiosité du jeune Livio, il ne se cache pas lui non plus, n’ayant jamais eu peur de dire qu’il vivait pour cet amour et l’espoir d’un jour le voir se raviver, comme ils le faisaient actuellement. « Je ne sais pas si vous êtes un surhomme ou si vous êtes tout simplement plus fort que je ne le serai jamais mais en tout cas, je vous admire. Sincèrement. » Il sourit à nouveau Jack, mais il ne le faut pas. Il n’est rien de tout cela, il n’est qu’un fou qui a mal agit une bonne partie de sa vie, en quête d’une personne qui était dans les bras d’un autre, heureuse et comblée, lui, ne pouvant passer à autre chose, détruisant des cœurs à cause du sien brisé. « Tu ne devrais pas, suis simplement ce que tu penses être bien et juste, et rappelle-toi que je suis loin d’être un exemple, j’ai trois ex-femmes qui pourraient presque te le dire ! » Si seulement elles étaient encore là pour en témoigner… Ce qui malheureusement ne peut être le cas pour deux d’entre elles et la dernière étant loin d’être quelqu’un de bien, son avis ne sera pas pris en compte, simplement ! Il n’a jamais cru que son histoire était belle, elle est juste sienne et ce jeune homme doit vivre la sienne. Parce que la vie nous teste, essaie de valider l’amour que l’on peut ressentir pour l’autre, elle vous regarde faire, vous donnant tous les impossibles et un jour peut-être, plus ou moins rapidement, vous êtes récompensés, vivant alors même une seule seconde de bonheur intense, dans les bras de l’autre..

« Enchanté, Jack. Eh bien, l'âge, c'est dans la tête. Je ne doute pas que vous soyez très amusant. » Il rit à son tour. Cela reste étrange de se présenter ainsi et de cette manière, mais plaisant d’être un simple inconnu et partir de zéro avec ce jeune. Bien entendu, l’âge n’est qu’une idée de l’esprit, même si le corps nous le rappel régulièrement. Alors que Livio s’occupe à changer de disque dans la platine, il respecte le temps, le silence également, laissant les choses se faire naturellement et prêt à payer et partir si la conversation est terminée. Toutefois, la voix du jeune homme se fait de nouveau entendre et laissant à nouveau le sourire du vieil homme s’éclaircir. « Alors dites-moi, qu'est-ce que vous faites de fun quand vous ne racontez pas votre histoire d'amour » La question pourrait être surprenante mais il la pose régulièrement alors il l’aime presque et s’en amuse vite. Il aime ce genre de personne qui ne s’arrête pas sur le métier mais vont s’intéresser sur les occupations et la vie des autres. « Je passe déjà un temps fou à raconter ma vie à des inconnus comme tu peux le voir, mais autrement, je ne sais même plus comment résumer cela… » Parce que des passions, des occupations, il en a par dizaine le chef d’entreprise. Lui qui ne peut rester sans bouger, lui qui a besoin d’avoir le cœur qui bat, de vivre la vie à fond et de toujours faire de nouvelles choses, il s’agite et à cet instant, en pensant à tout cela, il a les yeux brillants le CEO. « Et bien dans mes moments calmes, j’étudie les étoiles, l’astrologie ayant toujours eu une place particulière pour moi, et c’est un sujet intarissable à mes yeux. Autrement, je navigue sur tous types de bateaux, quelques sauts en parachute, des treks, saut à l’élastique, ski, et des attractions de ce type qui vide l’esprit et ravive le corps il me semble ! » Des paroles qui sortent rarement des lèvres d’un homme de son âge, mais il ne s’est jamais arrêté à cela, pour lui c’est une normalité et ses amis les plus proches le font également alors oui, probablement, l’âge reste qu’un chiffre et le reste se passe dans l’esprit de celui qui porte le corps. « Des activités amusantes pour toi autre que d’écouter des clients radoter sur leurs vies ? Ou la vie est déjà bien trop dangereuse ? » Il le cherche le jeune, mais sans savoir pourquoi, il se doute que le potentiel est bien présent, après tout, il reste accroché à un garçon à l’entourage peu fréquentable, non ?

La « famille » de son amoureux est-elle réellement capable d’attenter à sa vie ? Dans son esprit se rejoue la scène théâtrale de sa première rencontre avec River ; celle de Newton, violemment agressé, s’effondrant sur le seuil de son appartement ; celle de leurs innombrables disputes -autrement plus virulentes que toutes celles qu’il a pu avoir avec son frère, sa sœur, ses parents, ses amis ou même des inconnus. La réponse s’imprime ainsi naturellement, & tristement, derrière le voile de ses rétines. Oui. Oui, bien sûr que les Hells Angels seraient capables de l’effacer de la surface de la Terre. Bien sûr qu’ils seraient capables de le supprimer, de la plus sale des manières. Bien sûr qu’ils n’en auraient rien à foutre.
Le cœur au bord des lèvres, Livio passe le bout de ses doigts dans les ondulations légères de ses cheveux. &, puisant dans les ressources inépuisables de son optimisme, il peint sur son visage l’ébauche d’un sourire des plus sincères. Malgré les petites confidences que tous les deux ont commencé à se faire, Jack n’a pas besoin de se heurter à ses émotions les plus obscures. Le but n’est certainement pas d’attirer l’attention sur lui, ni d’alerter le premier client venu sur sa situation douteuse.
Au contraire.
Depuis deux ans, la discrétion concernant leur idylle interdite est de mise ; il n’est pas question que ça change. Pas comme ça. Pas aussi facilement.

- Je pense qu’ils ont suffisamment d’influence pour nous séparer, confirme-t-il. Mais j’ai confiance en nous, je sais qu’on s’en sortira.

Les menaces planent au-dessus de sa tête depuis que ses lèvres se sont échouées sur celles de son amoureux, depuis que ses yeux se sont abandonnés dans les siens. Depuis que son cœur s’est mis à battre en symbiose avec le sien.
Depuis la première seconde, Livio est sur le qui-vive, les sens en alerte & la paranoïa tendue à son paroxysme. Néanmoins, malgré l’inconfort que ces émotions génèrent en lui & malgré l’insécurité qui découle de son histoire d’amour, l’Anglais ne changerait de vie pour rien au monde. Jamais, jamais il ne pourrait quitter Newton. Jamais il ne pourrait agir comme Jack a courageusement réussi à le faire, en s’autorisant d’autres chemins, loin de la femme de sa vie.

- On a tous un passé, dit-il avec douceur. Je ne me permettrai pas de juger.

Peu importe que Jack ait eu plusieurs femmes, son courage n’en reste pas moins impressionnant : malgré l’amour inconditionnel éprouvé pour son âme-sœur, malgré la séparation tristement subie, il est parvenu à vivre. Vivre en dépit de sa souffrance. Vivre en dépit de sa peine. Vivre en dépit du manque.

La discussion aurait pu s’arrêter là. Jack & Livio auraient pu n’être que ces deux inconnus dont les chemins se sont brièvement croisés entre deux vinyles, avant de se séparer à tout jamais. Mais la curiosité de l’Anglais l’a emporté.
& c’est avec un naturel presque déconcertant qu’il ose interroger son client venu d’ailleurs sur la nature de ses occupations. Sans s’offusquer, ce dernier lui offre quelques morceaux de vie, évoquant la plénitude de ses moments calmes & la fougue de ses passions les plus surprenantes. Comme un enfant, Livio l’écoute. Plus rien ne compte autour sinon le récit des aventures de Jack. Étonnamment, il le visualise assez bien dans cette existence sans répit. Un sourire étire ses lèvres. & le brun redresse un peu son buste.

- Moi ? commence-t-il. Si mon copain était là, il vous dirait que notre quotidien ressemble à un western, ajoute-t-il en riant légèrement. Mais quand je ne suis pas avec lui, je traîne sur mon skate, je joue de la musique ou je sors avec mes amis.

Bien qu’il ait probablement l’air d’un enfant sage, Livio apprécie les sensations fortes. & si Jack l’inspire, en énonçant ses activités périlleuses, c’est toutefois un tout autre passe-temps qui l’interpelle.
Sans trop savoir de quelle manière aborder le sujet, l’Anglais joue avec ses bagues, les fait tourner autour de ses phalanges & les effleure de la pulpe de ses doigts. Dans sa tête valsent les réminiscences d’une soirée où sa relation avec Newton aurait pu virer au drame ; jusqu’à ce que les mots parviennent à défaire les noeuds complexes de leur énième dispute & que tous les deux se livrent quelques confidences sur l’oreiller. Attentif, le disquaire n’a rien oublié des rêves avortés de son amoureux. Parmi eux, d’ailleurs, une poignée que Rhodes est certain de l’aider à réaliser. Alors, après un léger raclement de gorge, il se jette à l’eau :

- Est-ce qu’il vous arrive d’apprendre les bases de la navigation aux novices ? l’interroge-t-il.

« J’ai jamais mis les pieds sur un bateau. J’aimerais vraiment pouvoir me retrouver au milieu du néant, un jour. Tu imagines ce que ça doit faire ? D’être au milieu de l’eau sans rien autour de toi ? » ; croit-il entendre à nouveau, quelque part dans son cœur. Ces secrets avoués dans le creux de son oreille n’appartiennent qu’à lui. Aussi, Livio préfère ne pas trop en dire pour l’instant. & ce, même si Jack a l’aura d’un homme bien, bienveillant & sincère.

- Ça doit être dingue, murmure-t-il. De sauter en parachute, & toutes ces choses. Votre femme vous accompagne ?

Le cœur à la renverse, c’est une sensation qu’il ne connaît trop bien. Mais au-delà du fait que son histoire d’amour lui donne l’impression d’être perpétuellement sur des montagnes russes, Livio est conscient qu’il lui reste encore à expérimenter mille sensations fortes.

L’inquiétude est palpable dans le regard du garçon et il sent que la situation peut être véritablement grave le Fitzgerald. Ce n’est pourtant pas son rôle de venir s’imiscer dans cette vie, dans ses problématiques qui ne le concerne pas. Il ne peut s’en empêcher, mais il ne résoudra pas les douleurs qu’il peut vivre au quotidien l’amoureux transit, il peut simplement tendre une main à ce jeune homme et lui proposer une autre vision de la chose. Bien sur, sa romance à lui, avait un côté romanesque, mais jamais il n’avait dû risquer sa vie pour être avec Sophie, jamais elle n’aurait accepté de le mettre dans cette situation et à l’inverse, jamais il n’aurait laissé faire non plus. Est-ce que tout cela vaut le coup ? Vivre malheureux avec la douleur de l’amour au quotidien ou bien mourir sous les coups ? Ceci n’est pas une vie, surtout pour un jeune de cette trempe… « Je pense qu’ils ont suffisamment d’influence pour nous séparer. Mais j’ai confiance en nous, je sais qu’on s’en sortira. » Il hoche la tête, faisant un oui franc, s’il le pense, alors cela sera le cas. Il ne pourra rien faire contre Jack et même s’il aimerait pouvoir aider tout le monde, il sait qu’il ne le pourra pas. Ce garçon devra trouver un moyen ou fuir, mais s’il a confiance, alors très bien, cela se passera bien, il le croit. Il se note tout de même de revenir si possible afin de vérifier les choses et s’assurer de la santé du garçon. Il ne sait pas pourquoi Jack, mais il l’apprécie ce garçon qu’il ne connait pourtant pas. Et il se sent comme responsable de veiller sur lui, il doit avoir une famille lui aussi, mais tout de même, il reviendra...

Il l’imagine probablement comme un Roméo des temps modernes Livio, lui le vieux crouton qui se bat encore pour l’amour de sa vie. Il en rit et surtout il veut bien lui faire comprendre quelque chose, il lui a fallu du temps pour arriver à cette période de sa vie, du temps, de la détermination et trois mariages ratés, trois mariages, deux fois veufs et toujours la seule et l’unique pourtant ancrée dans son esprit… Ridicule il pouvait l’être dans le regard de bien des personnes mais n’avait pas l’air de l’être dans l’esprit du romantique de l’autre côté du bureau. « On a tous un passé. Je ne me permettrai pas de juger. » Il acquiesce et sourit face à la sagesse précoce du jeune. Sans crier gare, il change de sujet et s’intéresse à lui, il veut en savoir plus, et étrangement, il se laisse aller au jeu en expliquant ses passions, toujours assez étonnante pour un homme de son âge. Quand il lui demande à son tour, il a presque l’air surpris Livio, ce qui fait sourire le vieil homme. « Moi ? Si mon copain était là, il vous dirait que notre quotidien ressemble à un western. Mais quand je ne suis pas avec lui, je traîne sur mon skate, je joue de la musique ou je sors avec mes amis. » Il a l’air d’être quelque chose ce copain. La vie simple qu’il décrit est tout aussi bien, un peu comme celle qu’il pouvait vivre lorsqu’il vivait encore à Fairhope chez ses grands-parents, passant son temps avec Elijah à être des gamins perdus d’un monde privilégié. Simples et vitales, les amis, le jeu par le sport et la musique pour l’esprit et l’art, rien de mieux que tout ce qu’il décrit, non ? Il repart dans ses pensées le garçon et lorsque son visage s’illumine il écoute la question Jack, sourire aux lèvres. « Est-ce qu’il vous arrive d’apprendre les bases de la navigation aux novices ? » Il ne l’a jamais véritablement fait, autrement qu’avec ses propres enfants. Il avait adoré montrer à Naos et Saros la magie de la voile et l’esprit du vent et de la mer. Elizabeth avait été un peu moins réceptive et préférait surtout se prélasser à l’avant du bateau, même s’il la soupçonnait d’avoir parfaitement suivi les instructions et pouvoir s’en sortir seule si un jour elle le souhaitait. « Je ne les fais que pour mes enfants, mais si tu es partant, cela peut-être avec plaisir, il faut juste savoir se lever tôt. » Un clin d’œil et il en rit légèrement le Fitzgerald. La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt, surtout pour les navigateurs, mais il se doute que le jeune homme face à lui, avec de la motivation, pourrait tout faire. Il sort une carte de visite de sa poche et un crayon, marquant l’adresse du ponton de son catamaran tandis que de nouveau, le vendeur pose une question amusant le chef d’entreprise. « Ça doit être dingue. De sauter en parachute, & toutes ces choses. Votre femme vous accompagne ? » Il rit cette fois-ci. Pas par moquerie mais pour le mot utilisé. Sophie, sa femme. Il pourrait avoir les joues roses juste à y penser. Pourtant, ce n’est pas la réalité et il ne sait pas s’il est prêt à cela vu le destin de ses femmes jusque-là, jamais il ne voudrait cela pour la Harper. Et bien plus que cela, elle ne sera pas d’accord. Mais penser à elle comme sa femme, il aime ce son, cette sonorité… « Pas sur tout, je tente et elle est plutôt heureuse d’essayer avec moi, mais je ne lui ai pas encore fait subir un saut, nous ne sommes pas aussi jeune que j’en ai l’air.  » Il rit doucement mais il est sérieux. Le saut en parachute fait tout de même beaucoup au corps et il sait aussi qu’il provoquera la foudre des enfants de sa belle s’il propose de l’y amener, même s’il aimerait véritablement s’envoyer dans les airs avec elle, au sens propre de la chose… « J’ai un ami qui m’accompagne souvent, et sinon j’adore avoir de nouveaux compagnons d’aventure, cela donne toujours une expérience différente en fonction de la réaction de l’autre.  » S’adapter à l’autre, faire en sorte que l’expérience plaise à tous, revenir en arrière, repousser sa limite, c’est tout ce qu’il aime Jack et le pourquoi il le fait, en plus d’avoir le besoin de se sentir vivant. « Les sauts donnent l’impression de n’être qu’une légère partie de l’univers, ça fait réfléchir sur notre rôle mais aussi nos vies. C’est un excellent complément à la plongée et l’alpinisme si tu veux savoir et étrangement le moins difficile pour le corps. Tu voudrais tenter ? » Dans un premier temps, il lui tend le bout de papier où le port est noté avec le dock où se trouve son bateau. « Samedi, 6h du matin à cette adresse si tu souhaites apprendre les joies de la navigation. » Sans savoir pourquoi, il a confiance et surtout il souhaite continuer cette conversation et l’apprentissage de ce jeune qui peut lui apprendre tout autant que lui pourra le faire pour lui en échange. « Tu as mon nom et mon numéro de téléphone direct de l’autre côté de la carte si jamais, et même si ta belle famille devient trop présente… » Il ne sait ce qu’il pourra faire mais il connait des personnes pouvant l’aider probablement, dont certains des enfants de Sophie qui travaillent dans les forces de l’ordre par exemple. La carte de visite change de main et il se permet. « Si jamais un jour tu le souhaites, ton Jules peut également venir, ça peut vous faire du bien. » Rien d’obligatoire mais une proposition, une possibilité, juste cela.

Il y a cette petite étincelle de magie qui s’invite dans les yeux de Livio dès que Newton lui adresse ses plus beaux sourires, ou manifeste son bonheur. & là, tout de suite, à la simple idée de pouvoir peut-être emmener son amoureux sur un bateau, son cœur s’emballe & bat la chamade. Ça serait incroyable de voir son ange des enfers, les boucles blondes au vent, le sourire offert au ciel & les vagues pour unique témoin de son bonheur. Ça serait fou d’être en mesure de réaliser le tout premier vœu d’une longue série.
D’abord, Jack lui avoue qu’il n’apprend généralement la navigation qu’à ses enfants. Même s’il comprend totalement, Livio ressent un soupçon de déception.
& puis, finalement, l’aîné accepte de lui enseigner ce qu’il sait ; à condition que le musicien sache se lever aux aurores.
C’est comme si c’était fait.
Un large sourire étire ses lèvres. & le disquaire acquiesce aussitôt d’un signe de tête. Les mots se bousculent sur sa langue, tant il est avide & pressé de convenir d’un rendez-vous.
La carte de visite glisse jusqu'à lui. Livio s'en empare, déchiffre l'adresse fraîchement notée à son attention & la coince précieusement sous la coque translucide de son iPhone.

Dans toute sa curiosité bienveillante, Livio interroge l'homme qui lui fait face. Ce dernier se lance dans une tirade passionnée & passionnelle, expliquant le bien-être presque onirique que lui procurent les sauts en parachute. De ses paroles s’échappe un parfum de liberté dont Livio rêve sincèrement. Pas pour lui ; il est déjà libre d’être l’homme qu’il est -sans conditions. Mais plutôt pour son amoureux. Lui, qui souffre tant d’être dans une existence qu’il exècre.

- Si je veux tenter ? demande-t-il, surpris.

Pendant quelques secondes, le disquaire considère cette possibilité, cette offre. Serait-il seulement capable de se jeter dans le vide ? Serait-il capable de s'abandonner aussi facilement ? Le temps de sa réflexion s'étire sur plusieurs secondes. Des secondes durant lesquelles Jack profite pour lui tendre le morceau de papier sur lequel est indiquée la position de son bateau. Tout sourire, Livio l'attrape entre ses doigts.
Avant d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche sur une réponse évidemment positive, cet homme venu d’un autre monde lui donne rendez-vous -samedi prochain- & lui fait savoir que Newton est aussi le bienvenu, s’il le désire. Touché, l’Anglais esquisse un sourire. Ça lui ferait tellement plaisir que son amoureux accepte de se joindre à lui pour cette session découverte. Mais ce n’est pas ainsi qu’il imagine sa surprise. Alors, sans rien dire pour l’instant, le jeune homme se contente de hocher la tête.

- Je serai là, promet-il. Je ne sais pas encore comment vous remercier, mais je trouverai.

Livio lui adresse un clin d'œil & enfonce ses mains dans le fond de ses poches. Comprenant que l'homme est sur le point de quitter les lieux, le brun l'accompagne jusqu'à la porte.

- & pour vous répondre, j'adorerais tenter les sauts dans le vide. Mais pas tout de suite, ajoute-t-il. Je pense que je manque encore un peu de courage.

& pourtant, Livio, c'est tous les jours qu'il saute dans le vide.
Tous les jours, il a peur de la chute, de s'écraser face contre Terre, de s'effondrer, d'y rester.
& tous les jours, il se relève.

Il y a de ces conversations qui viennent de nulle part, emportant le temps et les pensées comme par magie. Des générations les séparent, leurs vies sont à des lieux de se ressembler et pourtant, il voit en ce jeune tant de possible Jack. Il y voit des brides de lui-même au même âge mais avec des problématiques différentes, il y voit, l’envie, la passion, l’inconscience et l’insouciance qui débordent de ses pores. Le flux de leur conversation est fluide comme de vieux amis qui abordent différents sujets pour remonter le temps qu’ils ont loupé l’un avec l’autre et pourtant, avant le début de leurs mots de ce jour, jamais ils n’avaient croiser la route l’un de l’autre. Alors les propositions du Fitzgerald se font naturelle. Pour connaitre un peu plus ce garçon mais aussi pour lui faire voir que la vie peut également avoir un côté incroyable et débordant sans être dangereuse et houleuse. Elle peut être que de la joie et des souvenirs heureux, seuls ou bien avec l’amour de sa vie. « Si je veux tenter ? » Il demande comme si c’était la première fois qu’on lui faisait cette proposition. Bien entendu que c’était la première. Un homme loufoque qui propose de former des personnes à la voile ou bien au parachute, ça ne court peut être pas tant les rues que cela… Il accepte toutefois, peut-être se demandera-t-il par la suite si le vieil homme face à lui n’est qu’un lunatique, ou bien même un mythomane invétérer, peut-être qu’il pourrait être totalement cinglé et vouloir l’étriper, ou bien pire, de cette famille dont il a l’air de se méfier tant. Pourtant, le oui du garçon arrive rapidement et c’est un étrange soulagement qui s’empare du PDG. Après tout, l’espoir et encore là et tout le monde ne passe pas sa vie à se méfier de son prochain. Il lui tend le lieu du rendez-vous en lui indiquant l’heure. Tout sera alors prévu, il n’aura plus qu’à se laisser porter pour ressentir une sensation si unique et particulière à la fois. « Je serai là. Je ne sais pas encore comment vous remercier, mais je trouverai.» Il sourit Jack. Loin de lui l’idée d’avoir un remerciement ou bien un dédommagement ou peut-être seulement un. « Tu n’auras qu’à profiter et te sentir vivant, sans souci, et cela me suffira amplement. » Parce que c’est cela qu’il ressentait lorsqu’il sautait ou naviguait. C’est cette sensation que tous les problèmes sont mis à un autre moment, un instant loin de tout parce qu’il maitrise, et surtout il ne s’occupe que de cela pendant cet instant, aussi long ou court soit il. Se dirigeant vers la sortie, il se sent étrangement bien Jack, comme si cette journée était une véritable réussite, uniquement par le passage dans cette boutique. « & pour vous répondre, j'adorerais tenter les sauts dans le vide. Mais pas tout de suite. Je pense que je manque encore un peu de courage.» Il rit le vieil homme tout en ouvrant la porte et répondant au clin d’œil précédent du jeune homme. « Ce n’est pas du courage qu’il faut pour faire cela, mais bien de la folie et je sais que tu trouveras le bon timbre de la tienne. » Le saluant, il se sépare du disquaire avec cette légerté et en même temps ce fond d’inquiétude pour ce garçon pour lequel il s’était pris de sympathie. Il ne souhaite que rien ne lui arrive et rester dans son entourage peut-être une potentielle aide, alors la suite se verra samedi, où il confirma si oui ou non, la folie est capable de s’emparer de lui, autant qu’elle le fait pour le gamin d’Alabama depuis toujours…

-THE END-

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