TRIGGER WARNING : mention de blessures, alcool
Il n’a quasiment pas fermé l'œil de la nuit, s’est seulement assoupi un petit instant par épuisement, mais ça n’a pas duré très longtemps. Cette nuit tourne dans sa tête comme une ritournelle insupportable qu’il n’arrive pas à faire taire. C’était si beau, pourtant. Il est rentré avec le sourire, ce sourire franc qu’on n’avait pas vu sur son visage depuis bien longtemps, presque à chantonner sur la route tant le bonheur semblait tangible, à porter de main. Elle a fait un pas vers lui, ça y est. Ils ont failli se faire prendre par Lily mais ça l’a fait rire, lui. Il se voyait déjà avec elle, discrètement au début, le temps de réapprendre à se connaître, le temps de se retrouver, de s’apprivoiser à nouveau. Puis, la désillusion est arrivée bien vite, si prévisible qu’il se maudit de ne pas l’avoir vue venir. De quoi lui montrer qu’il a toujours un cœur, à la manière dont elle peut encore le briser si facilement, après tant d’années. Quel idiot d’y avoir cru, quel idiot d’avoir espérer que cette nuit serait la première de ce nouveau départ. C’était sans compter sur sa détermination à le fuir. Il ne comprend pas. Il a beau faire de son mieux pour la convaincre, il n’y a rien à faire. Au bout de quelques longues minutes, le voilà à cours d’argument, azimuté par son obstination. Il ne sait plus quoi lui dire, s’essayant à quelques messages avant d’abandonner, finalement, lâchant un râle sourd dans l’appartement en envoyant valser son téléphone, qui s’éclate sur le sol. L’écran cassé, il a l’air malin maintenant. Il le laisse choir là, au milieu de la pièce pour aller se servir une bière, espérant presque naïvement qu’elle finirait par réapparaître. Il aura attendu toute la nuit.
Et puis, alors que ses yeux ont finalement réussi à se clore quelques minutes, il est bien vite réveillé par la sonnerie de son téléphone, sur lequel il se précipite sans même prendre le temps de voir la provenance de cet appel.
« Charlie ?! » Un silence de plomb le reçoit, puis une respiration bruyante se fait entendre. Il détache son téléphone de son oreille pour apercevoir le nom de Lily s’afficher sur l’écran. C’est à son tour de soupirer.
« Elle est partie, c’est ça ? » Un souffle de Lily, puis une réponse, presque murmurée, comme si elle s’excusait pour son amie.
« Oui… désolée Jax… à moi non plus, elle m’a rien dit. J’ai juste trouvé un mot… » Son poing se referme, en appui sur sa table à manger, se serrant jusqu’à ce que ses ongles s’enfoncent à l’intérieur de sa paume.
« Putain… j’aurais dû m’en douter. Je vais devoir lui courir après combien de temps avant qu’elle comprenne que je partirais pas, moi ?! » Il n’attend aucune réponse, et n’en aura pas, de toute façon. Un petit silence s’installe entre les deux amis, alors qu’il soupire à nouveau, tentant d’encaisser la nouvelle, et son coeur essoufflé de toutes ces montagnes russes.
« Tu sais où…? » « Non… désolée… » Il esquisse un rire amer. Décidément, elle ne lui rendra jamais les choses simples.
« Ok. J’te laisse… J’ai un aéroport à retourner. » Il entend son sourire se dessiner à l’autre bout du fil, puis raccroche. Si elle croit se débarrasser de lui comme ça, c’est hors de question. Elle ne le fuira pas, cette fois-ci.
Il lui envoie quelques messages, dans l’espoir qu’elle ne soit pas montée dans ce foutu avion, pestant contre elle et sa manie de disparaître si facilement. Il a mal, blessé dans sa fierté pourtant si solide, écoeuré par sa manière de le rejeter encore et encore, comme si ces quinze années n’avaient pas été suffisantes. Lui, il n’a jamais voulu qu’elle. Sa réponse arrive et il peste encore, s’acharnant sur son clavier en attrapant rapidement sa veste. Si son message lui brise un peu plus le cœur, il lui indique au moins une chose : elle est encore là. Et s’il doit faire tout l’aéroport, quai par quai, quitte à faire le tour du monde pour la retrouver, c’est ce qu’il fera. Cette fois-ci, il ne compte pas abandonner si facilement, pas après cette nuit, pas après ce qu’il a ressenti, ce qu’il a vu dans ses yeux, entendu contre sa poitrine, senti à travers ses baisers.
Il lui envoie des messages en chemin, espérant un peu qu’elle lui réponde, qu’elle lui prouve qu’elle est encore en Californie, aux Etats-Unis, qu’elle ne s’est pas encore envolée. Mais rien. Pas un mot de plus. Son coeur s’emballe un peu plus, l’adrénaline s’ajoutant à son sang alors que le taxi ne semble pas aller encore assez vite.
« Vous pouvez accélérer un peu ? » Il ne veut pas être méchant, mais s’agite, à quelques kilomètres à peine de cet aéroport. Et s’il la ratait ? Il essaie de trouver des indices dans ce qu’elle a pu lui dire, ce qu’il a pu voir, sur sa prochaine destination. S’il la loupe, Lily peut être certaine qu’il campera chez elle jusqu’à avoir une information, même la plus minime qui soit, pour lui permettre de la retrouver. S’il n’a pas pu le faire il y a quinze ans, cette fois-ci, il n’abandonnera pas. Il sait ce qu’il veut, Jax. Il le sait depuis qu’il s’est laissé tomber à bord de sa voiture dans les collines de San Francisco. Il aurait pu y rester, parfois il se dit qu’il aurait peut-être dû, finalement, mais si la vie lui a offert une seconde chance, et à elle aussi, c’est bien qu’il ne faut pas laisser tomber, non ? Il ne croit pas spécialement aux signes, mais celui-ci, il ne se sent pas le droit de l’ignorer. Il aura fallu qu’ils manquent tous les deux de mourir, chacun à leur tour. Il n’est pas prêt de risquer un troisième coup du destin.
Le taxi arrive enfin devant l’aéroport et il se précipite hors du véhicule, lâchant sans réfléchir des billets qu’il ne prend pas le temps de compter, ses jambes se lançant dans une courses folles alors que l’une d’elles tangue encore. Tant pis. Il arrive essoufflé à l’intérieur, analysant le panneau d’affichage pour essayer de déterminer la destination qu’elle aurait pu choisir en premier, à la hâte, durant la nuit. Bon sang, si elle a eu le culot de monter dans cet avion… Son cœur tambourine dans sa poitrine. Et s’il faisait le mauvais choix ? S’il la loupait de peu, de quelques minutes, quelques secondes à peine ? Il reprend son téléphone et tente de l’appeler une première fois. Aucune réponse, seulement le message froid de son répondeur. Une seconde fois, sans succès. Il reprend son souffle un moment, déglutit face au choix qu’il doit faire, puis se remet à courir dans une direction, un peu au hasard, un peu parce qu’il a comme un pressentiment. C’est idiot de se fier à ça, ridicule de penser que son instinct serait suffisant, et pourtant.
C’est le souffle court qu’il arrive dans cette aile de l’aéroport, scrutant les passants installés sur les sièges de cette immense salle d’attente. Il hésite à crier son nom, tout simplement, mais n’ose pas avant d’avoir aperçu son visage. Pitié, faites qu’elle soit là. Et puis, finalement, parmi toutes les têtes qu’il observe, une à une, il aperçoit une tête blonde, cheveux attachés, de dos. Très peu de chance que ce soit elle, mais son coeur s’emballe, pourtant, et il décide de s’avancer, aveuglément. Arrivé à sa hauteur, il tente.
« Charlie ? » Il est 10h09, et son coeur manque un battement avant de reprendre de plus belle. Bon sang, ce qu’elle l’aura fait courir.
« Tu crois vraiment que je t’aurais laissée fuir ? » Il est essoufflé, après avoir couru à travers tout l’aéroport pour voir son visage. Cette fois-ci, il ne la lâche pas. Plus jamais.
« Arrête tes conneries, et reste avec moi. » Ce n’est pas vraiment une question, bien qu’il ne l’obligera jamais à rester si elle ne le veut pas. Seulement, il ne la laissera pas tout foutre en l’air sous prétexte qu’elle a peur.