Campée à son second bureau de la journée, elle bataillait contre ses paupières, la Keynes. Ou plutôt la Lennox-Baxter. En effet, elle avait uni sa vie à celle de Gabriel, quelques semaines auparavant. Après quatre ans d’attente de la part de l’ancien pompier - un divorce et trois bébés plus tard -, le rêve s’était enfin concrétisé. Puis, le cours de leur existence avait repris comme si de rien n’était. Pas de temps pour une lune de miel, ils s’étaient dit. Ou bien était-ce la crainte de laisser leurs enfants pour un moment ? Trop habitués au remue-ménage annonçant la présence de leurs bambins, ils n’étaient pas encore psychologiquement prêts à partir sans eux. Quant bien même, ils avaient pleine confiance envers les adultes qui auraient la charge - le fardeau même - des petits monstres qu’ils avaient engendrés. Et faire garder les cinq n’était pas une tâche facile. Alors, en attendant, Evaline continuait à évoluer dans la société O’Callaghan, puisque son meilleur ami était reparti au front et lui avait laissé les clés de son royaume. Puis, elle assumait ses permanences dans l’association. Cette dernière lui tenait encore et toujours à cœur. Fille de militaire, sœur de militaire, ex-conjointe de militaire, le filon pouvait être remonté plutôt facilement. Elle était moins disponible que lorsqu’elle avait commencé à venir, plus jeune. Sa vie de famille aspirant son temps libre sans qu’elle ne s’en aperçoive. Bien entendu, elle était loin de s’en plaindre puisque son existence ressemblait - presque - à un conte de fées. Ou plutôt à la vie dont elle avait toujours rêvé. Un mari qui l’aimait plus que de raison et dont l’amour qu’elle ressentait pour lui la transcendait chaque jour. Des enfants illuminant ses journées, même s’ils la maintenaient éveillés la plupart des nuits. Et une famille toujours à ses côtés, malgré des hauts et des bas. Elle aurait voulu pouvoir figer l’instant, par peur de voir l’existence mettre des nids de poules sur son parcours, comme lors de ces quatre dernières années. Mais, consciente que ce n’était pas une option, elle se contentait de vivre chaque instant. Penchée sur une pile de papiers qu’un vétéran venait de lui apporter, elle lisait les lignes noircissant le papier avec attention. « Timmy, depuis combien temps as-tu reçu tout ça ? », demanda-t-elle avec douceur et en relevant le visage vers l’homme qui lui faisait face. Elle n’eut pas l’occasion d’entendre la réponse de ce dernier puisqu’un grand fracas se fit entendre dans la pièce d’à-côté. Elle bondit sur ses pieds. « Reste ici. », intima-t-elle et disparut dans l’encadrement de la porte. Elle serait capable de mettre sa main au feu que Timmy ne tarderait pas à apparaître dans son sillage. Son esprit se demanda s’il ne s’agissait pas d’un des militaires faisant une crise liée à un PTSD. Si c’était le cas, il faudrait qu’elle prenne ses distances. Par sécurité. Même si elle était capable de se défendre en temps normal, elle n’était pas prête à prendre de risques. Lorsqu’elle parvint à l’origine du bruit, elle tomba sur Adam au milieu du bureau, hurlant à plein poumons et envoyant valser du matériel dans tous les sens. Elle se figea pendant un instant, avant d’entrer comme une furie. « Mais qu’est-ce qui se passe ici ? », s’écria-t-elle avant d’arracher l'agrafeuse d’entre les mains du Fleming. « Mais qu’est-ce qui te prends, bon sang ? », questionna-t-elle, de nouveau. Elle le détailla du regard et elle eu une impression de déjà-vu. Et une impression désagréable en plus de cela. Cela datait de quelques années déjà, mais c’était comme s’il s’agissait de la veille. Lorsque Sophia, son ex-petite-amie, avait disparu de la surface de cette planète. « C’est bon, Timmy, ferme la porte, s’il te plait. J’arrive dans quelques minutes. », murmura-t-elle en lançant un regard au gaillard prêt à bondir, puis un sourire crispé. Elle croisa les bras sur sa poitrine en fixant le trader, spill the beans disait-elle à l’aide de ses prunelles.