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Le médecin l’avait prévenu : sa jambe est encore trop fragile pour supporter ne serait-ce qu’une charge légère. Mais Livio, à la fois têtu & suffisamment fier, s’est levé avec la ferme intention de réaliser le même entrainement qu'à son habitude.

À peine a-t-il poussé la porte de la salle de sport qu’une violente odeur de transpiration agresse ses voies olfactives. Loin de s’en soucier davantage, le brun s’engouffre dans les vestiaires & troque son jogging contre un short. Il ôte ensuite son sweat-shirt & le suspend dans un casier qu’il referme à double tour.
Sur le chemin jusqu’à la pièce principale, il serre quelques mains & offre quelques sourires. & puis, après un échauffement classique, Livio s’installe sur un banc en vue d’entamer sa série d’exercices. Entre les développés couchés, les soulevés de terre & autres mouvements élaborés pour muscler le haut du corps, le pianiste s’en sort bien. En revanche, dès qu’il débute les squats, les burpees & les pompes, sa cuisse se tend & vibre d’une douleur incommensurable.
Incapable d’achever sa session, Livio range le matériel utilisé & rentre chez lui. En transport, évidemment, puisque même l’utilisation de son skateboard chatouille désagréablement les souvenirs laissés sur sa jambe le soir d’Halloween... lorsque la poutre s’est effondrée sur lui.

(...)

En début d’après-midi, tandis qu’il répète un morceau sur son piano, Livio échange quelques messages avec Blodwyn. Tout aussi traumatisée que lui, elle espère dormir chez lui, & se délivrer -potentiellement- de ses cauchemars. N’y voyant aucun inconvénient, il accepte. Plus d’un an s’est écoulé depuis leur première rencontre. Celle où, dans toute son indélicatesse calculée, la jeune femme l’a torturée & s’est jouée de ses sentiments. D’un naturel peu vindicatif cependant, l’Anglais ne lui en a pas voulu. Pas longtemps, en tout cas. Il sait, aujourd’hui, qu’elle n’a pensé qu’à la sécurité de Newton.
&, après tout, n’est-ce pas ce qu’ils souhaitent tous les deux ? Que Newton soit heureux ? amoureux ? apaisé ? confiant ? serein ?

Plutôt ravi à l’idée de passer une soirée avec Carpenter, Livio traverse son après-midi avec légèreté.
D’abord, il se rend au conservatoire, où il donne un cours de piano de façon ponctuelle - le professeur prévu initialement étant absent pour une raison inconnue. Le cours s’étire sur deux heures : l’élève est une fillette d’une dizaine d’années très assidue & très perfectionniste.  Mais si Rhodes remarque ses erreurs, il souligne surtout ses progrès.
& puis, les minutes s’égrènent.
La petite retrouve ses parents.
Livio remercie le personnel du conservatoire, leur confirme son intérêt pour le poste vacant.
& il quitte le bâtiment.
Dans le bus, les gens ont l’âme aspirée par l’écran de leur téléphone portable ; d’autres ont le sourire aux lèvres, sûrement parce qu’ils repensent à quelque chose d’agréable ; d’autres encore s’observent sans rien se dire. S’il avait un peu plus de temps, le brun leur inventerait une vie. Mais son arrêt est annoncé, alors il saute sur le trottoir & s’engouffre dans son immeuble puis dans son appartement.
Comme prévu, Newton n’est pas rentré. L’idée de ne pas pouvoir l’embrasser avant plusieurs heures lui compresse un peu le cœur. Heureusement, ses pensées n’ont pas le temps de s’enraciner dans son esprit : la sonnette annonce l’arrivée de Blodwyn. Après qu’il a passé son sweat-shirt gris par-dessus son torse nu, Livio remet de l’ordre dans ses boucles & ouvre la porte d’entrée.

Comme une tornade, la jeune femme déboule dans son cocon. & pour une fois, Livio apprécie ce vent de candeur & d’insouciance ; lui qui a tant l’habitude des ombres & des démons de l’homme qu’il aime.

- Tout est prêt, lui assure-t-il, posant une main contre son bras lorsqu’elle se perche sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue.

La porte refermée, Rhodes récupère les paquets de bonbons, & penche un peu sa tête. Un air mutin étire ses lèvres.

- C’est pas Newton qui dirait le contraire, rit-il. Merci Blodwyn, c’est adorable. Je les garde de côté pour le dessert ? J’ai pris des glaces, aussi.

Laissant la question de Carpenter en suspens durant une poignée de secondes, il s’installe sur le canapé. Un sourire, mi-amusé mi-mélancolique, brouille les traits de son visage & flanque dans ses yeux une nuance plus sombre. Livio déplie le tire-bouchon & le plante à l’extrémité de la bouteille de vin, qu'il coince entre ses cuisses. Il donne ensuite quelques tours, puis tire d’un coup sec. Le bruit résonne. Annonce des festivités bienvenues.

- D’abord, à nous deux, dit-il, en versant le liquide d’une couleur somptueuse dans leurs verres.

Livio repose ensuite le vin sur la table basse & tire un peu sur son short, espérant cacher les cicatrices de cette soirée cauchemardesque.
& pourtant, sans cette catastrophe, seraient-ils ensemble ce soir ?

- Un peu avant Halloween, mon patron m’a demandé de ne plus venir à la boutique. Ça l’a rendu aussi triste que moi. On s’entendait bien, & je pense que je faisais du bon boulot, commence-t-il. Mais la vérité, c’est que les Hells Angels ont des doutes sur la relation que j’entretiens avec Newt. Y’a un type en particulier, un sale type, qui me rend la vie impossible. C’est à cause de lui si je ne bosse plus à la boutique : il a terrorisé mon employeur.

Ses bagues tintent un peu contre le verre, quand Livio le fait onduler entre ses doigts. Cette situation, sans l’avoir cherchée, il l’attendait. Ce n'était qu'une question de temps. Les Hells Angels n’auraient décidément pas pu ignorer éternellement l’histoire d’amour merveilleuse qu’il partage avec l’un des leurs. L’objectif, maintenant, c’est juste de survivre. Dans les ténèbres, au milieu des monstres.

- Enfin, de toute façon, j’avais d’autres projets, relativise-t-il.