Jouer, imiter, mimer, elle le fait depuis son plus jeune âge la Mahon. Maitresse dans l’art de la tromperie, elle a pourtant horreur du mensonge et de la trahison. Première à être stricte sur les règles données par sa famille, elle ne peut les appliquer au quotidien. Les mois, les jours passent et tout s’enchainent, devenant intenses et parfois de trop. Tobias se rapproche, tout comme elle de lui. Les Harper eux, deviennent présents, constamment, jusqu’à l’étouffement. Ils n’ont pas les mêmes limites que sa famille, ils n’en ont même probablement pas lorsqu’il s’agit de famille. Devenue leur sœur, ils n’ont pas l’air de voir la différence entre le lieu de travail et la vie personnelle, ils n’ont pas non plus l’air de connaitre les limites personnelles… Elle avait mis du temps à comprendre Eileen, elle princesse de glace, vivant dans une retenue exprimée en dehors de sa famille, se retrouve avec une tribu envahissante. Une tribu toujours mouvante la concernant avec une petite équipe l’appréciant et souhaitant sa présence et le reste de la famille, rejetant ce lien de parenté, comme si accepter son existence reviendrait à anéantir celle de Julia. Cela fait un an que sa famille est au courant mais rien n’a été ébruité. Seul son assistant et les membres très proches des Mahon le savent, cela ne doit pas s’ébruiter, probablement jamais. « Elle n’est pas disponible pour le reste de la journée. » De l’autre côté du mur, porte ouverte, elle entend la conversation de son assistant avec ce qui a l’air d’être l’accueil en bas du building. « Vous avez dit Nicholas comment ? » Son front se plisse à la reine de givre, la prononciation n’est pas anodine et dans ce pays, le Nicholas n’est pas prononcé de la même manière que dans celui de ses origines. « Je la préviens » Il ne met pas trente secondes à venir dans son bureau en fermant la porte de ce dernier en passant. « Ils sont combien du coup ? » « 6 » « Et bien je crois que le dernier est de passage, je demande à ce qu’on le fasse partir ? » Nicholas. Elle connaissait l’histoire de ce frère, depuis qu’elle savait être de cette famille. Elle savait ce qui lui était arrivé et trouvait tout cela horrible. Le fait que ses frères et sœurs le rejettent pour le mal qu’il a fait à leur mère et l’oubli qu’il subit lui semble totalement aberrant. Il aurait perdu une jambe, personne ne lui en voudrait…. Ce garçon elle l’avait croisé, elle l’avait récupéré, dans une ruelle proche de leurs origines, alors qu’il n’avait aucune idée de son existence. Au vu de sa présence aujourd’hui, cela avait dû changer et peut-être même avait-il déjà fait le lien. Le lien entre cette nouvelle sœur et cette inconnue qui l’avait retiré de la rue dans un des pires moments de sa vie. « J’ai combien de temps avant mon prochain rendez-vous ? » « Trente minutes et je ne peux pas le décaler celui-ci… C’est votre cousine. » Elle voit la désolation et la peur dans le regard de son assistant, lui toujours là, toujours présent et près à tout pour elle alors qu’elle a l’impression de ne jamais lui avoir rien rendu. Lui qui protège sa vie, aussi bien professionnelle que personnelle. Replaçant les trois papiers qui se détachent du bureau, elle ferme l’écran de son ordinateur mettant en veille tous les écrans autour. « Je serais là quand elle arrive, et sinon, je m’en occuperai, vous avez juste à la faire entrer dans mon bureau et m’envoyer un message. ». Il hoche la tête, peu rassurer de cette histoire. Les Harper deviennent envahissant dans sa ligne de métier et surtout dans sa famille d’éducation qui n’accepte que peu qu’ils passent parfois en priorité. Attrapant son téléphone, elle se lève pour se diriger vers l’ascenseur et enfin arriver au rez-de-chaussée où se trouve ce petit frère qu’elle ne connait finalement pas.

L’objectif : qu’il ne reste pas dans les locaux de Mahon Corp. Dès les premiers pas vers lui, il saute presque de son canapé le benjamin de la famille et seul le regard de la sœur étrangère pourrait trahir un sourire, son visage lui, reste passible pour le moment. Dans ce lieu, elle se doit de tenir une posture et rien ni personne ne pourra le lui enlever. «  Je ne sais pas si tu te souviens de moi. On s’est rencontrés en Irlande il y a deux ans.» A quoi joue-t-il ? Elle hoche la tête, veillant à ce que le peu de personnes autour d’eux n’écoutent pas totalement la conversation. « Je suis nicholas, nicholas harper. Parait qu’on partage un bout d’ADN commun. » Juste attend, elle atteint le Harper, lui attrapant doucement le bras et lui indiquant l’extérieur du bâtiment. « Bonjour Nicholas, par-là s’il te plait. » Il était rare, que pour une personne inconnue de l’accueil, la directrice générale descende de son bureau et le regard de l’agent de sécurité le montre parfaitement pourtant de suite attendrit par la présence de celui qui veille constamment à la sécurité de leur cheffe. «  Ca te dit qu’on aille boire un café ? » S’adapter, cela avait été complexe pour elle au départ, ce n’est d’ailleurs toujours pas naturel mais elle apprend doucement à le faire n’ayant pas véritablement le choix avec eux. Vingt-cinq minutes. « Tu sais que je dirige cet endroit et que je n’ai pas un emploi du temps à trou ? » Pour la première fois de l’entrevu, alors qu’ils sont proches de la sortie, elle s’autorise un léger sourire avec son propos. « J’ai vingt minutes à t’accorder. » Elle rattrapera ce temps dans la soirée, en espérant se rappeler la demande de Caitriona pour leur point d’après. « Officiellement enchantée de faire ta connaissance surtout dans un meilleur état que la dernière fois. » Elle attaque légèrement mais sans aucun reproche, plus de l’ironie discrète. Se dirigeant avec lui vers une roulotte offrant des cafés, ils commandent rapidement pour se retrouver autour d’une petite table à deux pas du pied du building. « Mes histoires de famille ne sont pas de volonté publique et j’aimerai que cela reste ainsi, je serai assez reconnaissante que tu n’annonces pas partout que l’on partage notre ADN donc. » Sourire aux lèvres et pourtant droite dans ses propos, ce n’est pas une discussion mais bien un fait, il ne le refera plus, sinon, ce n’est pas elle qui le fera sortir du hall du bâtiment. « Qu’est-ce que tu voulais voir avec moi ? Tout va bien ? Sophie t’en a parlé donc ? » Car elle ne se sentait pas entièrement prête la dernière fois, il était aussi probable qu’un des autres aient vendu la mèche, enlevant encore cela à leur mère. « Et si j’ai tout suivi, félicitation pour le bébé à venir. » Elle ne viendra pas sur celui qui vit toujours chez leur mère biologique, mais bien sur l’actuel, sur ce qu’il est en capacité d’assimiler, au moins pour le moment. Il a ce visage de la curiosité, du réveil et du renouveau, il doit se reconstruire, lui qui a perdu la femme de sa vie. Elle ne peut qu’essayer de comprendre, mais son histoire l’avait touché plus qu’elle ne pouvait l’avouer la princesse de l’ombre. Elle avait perdu un enfant avant même qu’il ne voit le jour, elle ne pouvait pas imaginer perdre Tobias par la même occasion, la douleur serait bien trop forte pour un jour pouvoir vraiment se relever. Si son cerveau avait décidé d’oublier, c’est qu’il avait envie de survivre Nicholas, alors qui était-elle pour juger cela ? Pour juger la force de ce jeune homme qui ne voulait qu’une chose, se relever, se retrouver.